1937-2017 : Les CEMEA ont 80 ans
80 ans d’éducation nouvelle, 80 ans d’éducation populaire ; en 2017, les Ceméa reviennent sur cette histoire qui continue de s’écrire.
Origines et grands principes
A l’origine il y a un contexte, le Front Populaire, et une volonté : former les animateurs des colonies de vacances alors en plein développement. Et les former en inventant un dispositif alors inexistant, le « stage » mixte et en internat, où seraient mis en application les principes et les pratiques de l’éducation nouvelle. Il s’agit de s’appuyer sur la vie quotidienne partagée et organisée, de travailler à la fois avec chaque individu et avec le groupe, de renverser le rapport aux maitres et aux savoirs, de faire que celui qui apprend soit actif dans ses apprentissages, de parvenir à ce qu’il s’y engage en réponse à des besoins qu’il aura lui-même, peu à peu, perçus. Tout ceci en s’appuyant en permanence sur l’activité conçue comme l’inverse de la passivité, sur l’engagement dynamique de chacun et de chaque groupe dans leurs projets de formation. Et dernier point sur cette éducation nouvelle mise en œuvre par les CEMEA : elle est pour tous, elle n’est pas réservée à une élite sociale qui se l’approprie pour son propre intérêt de classe.
A l’origine il y a aussi le Front Populaire dans sa dimension radicalement politique. Gisèle de Failly, la fondatrice des CEMEA, l’a très clairement rappelé : il s’agissait de prendre place dans la nécessaire lutte anti-fasciste. Cette obligation de responsabilité existe toujours, même si les fascismes européens des années 30 ne sont plus là. Les CEMEA inscrivent toujours leur action dans la participation à la construction d’une société égalitaire, progressiste, respectueuse de chacun, contre tous les racismes et contre toutes les exclusions.
A l’origine, enfin, il y a aussi une construction commune avec les Eclaireurs de France, déjà grand mouvement laïque de jeunesse et d’éducation populaire. Promouvoir des cadres et des intelligences en dehors du système scolaire, faire que chacun puisse progresser, faire exister les groupes et la collectivité comme supports de développement, ouvrir à la culture, aux activités physiques, scientifiques, sans discrimination ni sélection ; nous sommes toujours engagés et actifs dans ce grand projet qu’est l’éducation populaire.
Ces origines dessinent une particularité des CEMEA, à la fois dans l’éducation nouvelle et dans l’éducation populaire. Parce que de notre point de vue il ne peut pas exister sur le fond d’actions collectives promotionnelles et libératoires en restant dans le cadre classique du rapport magistral au savoir, dans la logique classique de l’apprenant passif à convaincre, parfois à gaver. Pas plus que de notre point de vue il ne peut y avoir d’éducation nouvelle sans projet politique de changement de la société par ceux et celles qui sont concerné.es, sauf, nous le disions, à en faire un outil subtil et efficace au service de l’éducation des futurs dominants.
Avant tout mouvement d’action, nous sommes aussi un mouvement de pensée. Une pensée construite avec d’autres, étrangers aux CEMEA ou compagnons de route, car il est nécessaire, vital, d’être en permanence ouverts aux réflexions qui se développent autour de nous. Alors nous sommes allés chercher, et nous allons toujours chercher les sciences humaines et les sciences sociales, les sciences de l’éducation, la psychanalyse, la pensée interculturelle, afin à la fois de nous enrichir et de nous questionner. Et nous revendiquons d’être en interaction avec les chercheurs et les courants de pensée qui nous font avancer, pas seulement utilisateurs de ceux-ci mais, à notre place, co-constructeurs de pensée. Notre revue Vers l’Education Nouvelle en témoigne depuis plus de 70 ans.
Quels développements ?
Voilà pour les origines et les grands principes. Qu’en avons-nous fait en 80 ans, dans quels champs, dans quels secteurs, au profit de qui ?
La naissance est claire : former des animateurs pour les colos. Et cela se poursuit : en 2016, 19000jeunes -et moins jeunes- sont venus aux CEMEA préparer le BAFA et le BAFD. Ce que nous appelons « l’animation volontaire », cette intervention ponctuelle, non professionnelle, pour prendre en charge des collectifs d’enfants, reste aujourd’hui un fantastique moyen de grandissement, d’estime de soi et d’accès aux responsabilités sociales pour les centaines de milliers de jeunes qui s’y engagent le temps de leurs études, de leurs loisirs. Depuis les années 1970 ce secteur d’intervention s’est ouvert sur la formation des professionnels d’animation, allant de l’animateur vacataire au responsable d’équipement ou de service. Ils étaient 2600 stagiaires en 2016.
Une première ouverture a lieu dans l’immédiate après-guerre avec la prise en compte des besoins d’enfants sortis meurtris de cette époque, et la création des « maisons d’enfants » et de la fonction de moniteur-éducateur. Aujourd’hui 4 centres de formation de travailleurs sociaux sont dans le périmètre des CEMEA et ont accueilli 1300 stagiaires et étudiants en 2016.
Une seconde ouverture a lieu également après-guerre, en 1947, quand des psychiatres progressistes, engagés dans la rénovation psychiatrique et la psychiatrie sociale, demandent aux CEMEA de les accompagner dans l’humanisation de leurs services. Rapidement se créera alors un nouveau secteur d’intervention, la « santé mentale », avec la formation continue des soignants, l’engagement dans les réformes de fond de la psychiatrie, et l’arrivée des concepts de la psychanalyse dans notre outillage théorique. Aujourd’hui les CEMEA publient une revue trimestrielle de référence (V.S.T. Vie sociale et traitement), sont engagés dans le « Collectif des 39 » pour défendre une psychiatrie humaniste, et ont formé 900 professionnels de la santé mentale en 2016.
Années 1950, encore : en 1955 Jean Vilar nous appelle à ses côtés au festival d’Avignon pour y organiser l’accueil et l’hébergement des jeunes festivaliers. Nous ne faisons pas que cela, mais construisons avec le festival un accompagnement global de ces spectateurs dans l’évènement : préparation aux spectacles, rencontres avec ceux et celles qui font le festival, ateliers de pratique… Aujourd’hui nous sommes toujours à Avignon, et dans une vingtaine d’autres festivals régionaux et nationaux. Et, depuis 13 ans les CEMEA dirigent à Evreux un festival de cinéma qui a essaimé dans toute la France hexagonale et ultramarine, le festival international du film d’éducation, avec au total plus de de 20 000 spectateurs.
Le développement des actions d’aide à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, un des éléments forts du programme de la Gauche en 1981, nous mobilise. Dès 1982 nous ouvrons les premières actions expérimentales, suivies d’un engagement dans le processus des « nouvelles qualifications » lancé par Bertrand Schwartz. Aujourd’hui nous accompagnons des groupes d’allocataires du RSA, nous organisons des actions d’aide à l’insertion pour des jeunes et moins jeunes, nous agissons avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse dans le cadre d’une convention nationale… 1300 personnes sont accueillies dans nos divers dispositifs d’aide et d’accompagnement.
1991 est une autre forte date avec le lancement, dans les festivals, d’une recherche-action portant sur la connaissance et l’accompagnement social des jeunes en errance. Nous deviendrons en une dizaine d’années le pôle national de formation et de ressourcement des professionnels ; nous avons aujourd’hui, par convention avec le ministère de l’action sociale, la responsabilité de l’animation d’un réseau national d’équipes au travail avec ces jeunes. En 2017, 280 équipes sont engagées dans les travaux du réseau.
Dès les années 1970 nous avons investi les technologies de l’image et du son et la presse en les intégrant dans des projets culturels. Depuis, nous sommes passés à une vision plus globale centrée plus sur les publics et leurs rapports aux médias. Aujourd’hui nos actions intègrent une approche politique et sociétale pour que les médias et le numérique, au regard de leur influence sur le développement des personnes, leur socialisation et de leur impact en termes de vie démocratique, s’inscrivent dans un projet éthique et humaniste.
Il y a les actions sectorielles, il y a aussi les intérêts permanent.
Nous apportons une attention particulière à ce qu’est l’école, l’Education nationale, dont nous sommes un partenaire actif et exigeant : formation continue des enseignants, place des élèves dans les établissements, soutien aux innovations pédagogiques… Ceci, là aussi, dans le cadre d’une convention avec l’Etat. Pour les CEMÉA, l’éducation est globale. Il s’agit d’éduquer et d’enseigner. L’école doit être un lieu de réussite de tous et d’apprentissage des valeurs d’égalité et de coopération. Les CEMÉA n’ont cessé de réaffirment le rôle central de l’école publique laïque et revendiquent l’importance du partenariat entre les enseignants, les parents, les acteurs éducatifs territoriaux, les mouvements pédagogiques et d’éducation. Les CEMÉA militent en faveur des pratiques pédagogiques centrées sur l’élève, favorisant tous les parcours différenciés, dans le cadre de la scolarité obligatoire, et en référence aux principes de l’éducation nouvelle.
Nous apportons une attention particulière à la petite enfance, après avoir été les passeurs qui ont fait arriver en France les recherches et les pratiques d’Emma Pikler en Hongrie.
Nous agissons en permanence pour l’égalité entre les sexes, pour une éducation non sexiste, pour une utilisation éducative de la mixité.
Nous sommes viscéralement laïques ; c’est-à-dire que nous sommes tolérants, mais exigeants, faisant vivre dans nos actions de formation une laïcité ouverte, respectueuse de chacun, sans jugement sur la foi ou la non foi de tous.
Nous sommes un mouvement international. Non pas seulement parce qu’existe une fédération internationale des CEMEA, mais aussi parce que systématiquement nous nous inscrivons dans l’Europe, dans la libre circulation des personnes et des idées, et parce que nous nous engageons pour la construction d’un monde égalitaire et social. Nos stagiaires en formation professionnelle font des stages, des séjours, des rencontres thématiques hors de France ; nous sommes intervenus dans les ghettos d’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, aujourd’hui nous intervenons à Gaza, en Palestine…
Innover, être ouverts : être en vie
Notre histoire, nos engagements, nos actions passées et présentes nous obligent. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de gérer l’existant, même s’il faut de plus en plus le défendre pour qu’il continue d’exister. Mais nous devons sans cesse questionner nos actions, nos engagements, au filtre des réalités sociales, culturelles, politiques. A quoi et à qui servons-nous aujourd’hui ? Que se passe-t-il autour de nous qui ne peut pas nous laisser indifférents : crise d’avenir de la jeunesse, souffrances des migrations, montée des populismes, racismes latents… _ Nous devons en permanence aborder ces réalités globales avec nos propres outils, nos propres démarches : la formation libératoire, et l’inscription dans une volonté de changement social préparé par tous.
A ces conditions, malgré nos 80 ans, nous resterons encore longtemps dans la fleur de l’âge. 1937-2017, les CEMEA, toujours passeurs d’avenir !
Christian Gautellier
Directeur des CEMEA (1995 à 2021)