Retour sur le 1er stage près de 90 ans après

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En complément de l'article "Le début d'une aventure: le 1er stage", Jacques Demeulier, directeur général des Ceméa de 1998 à 2006, vient apporter un autre regard sur cet acte fondateur des Ceméa. 

Des questions?

Une première… un centre d’entraînement pour la formation du personnel des colonies de vacances et des Maisons de campagne, berceau des CEMEA ( 1937).

Près de 90 ans après, comment dire une nouvelle fois ce que fut le premier centre d’entraînement, pas encore centre d’entraînement d’éducation active ?

Gisèle de Failly l’a fait dans « Les CEMEA qu’est-ce que c’est » (Denis Bordat ´Ed F Maspero) , Juliette Pary journaliste du Marianne de 1937 y consacre un  un chapitre de son livre "L’amour des Camarades".

A ces textes de l’origine, le texte d’André Sirota, « le stage de formation comme espace culturel intermédiaire » dans « Passeurs d’avenir » (Jean Marie Michel Ed Acte Sud) vient porter un regard élargi à partir des pratiques de stage qui se sont diversifiés concernant des publics variés.

Alors, de l’innovation des débuts à la diversification de décennies d’actions, il est possible de retenir « la substantifique moelle » de ce premier centre d’entraînement à travers quelques brèves réponses à des questions simples.

Pourquoi ce premier centre d’entraînement?

Pour que les Colonies de vacances complètent l’œuvre d’éducation de l’Ecole Publique

Pour qu’elles aient une organisation technique parfaite

Pour que les enfants y trouvent des activités attrayantes, vraies sources de joie et de santé

Il faut un personnel nombreux: il faut un personnel expérimenté.

Les colonies de Vacances manquent de cadres.

Mais de quoi s'agit-il en fait?

Un « centre d’entraînement » pour la formation du personnel des colonies de vacances et des Maisons de campagne des écoliers, subventionné par le ministère de la santé publique l’éducation physique (haut patronage du ministre de l’Education Nationale et de la Santé) et organisé par la Ligue de l’Enseignement, l'Hygiène par l’exemple et les Eclaireurs de France et la fédération des éclaireurs.

Quand ? Du 25 Mars au 2 avril 1937 (10 jours)

Où ? Château de Beaurecueil, près d’Aix en Provence (propriété de l’Office départemental des Pupilles)

Coût ? 135 francs

Qui participe et qui encadre?

60 instituteurs, institutrices et élèves d'Écoles Normales viennent pour se perfectionner dans l’art de l’éducation, encadré·es par une équipe plurielle et spécialisée.

Une équipe nombreuse d’encadrement :

  • Mlle ANGLES, Inspectrice générale de l’éducation nationale,
  • LÉOPARD, totem* de Leo Schmitt, instructeur de jeux
  • Gisèle de Failly, secrétaire de stage
  • Vieux Castor, totem d'André Lefevre, chef de stage
  • Bouledogue,  totem de XXX, économe, la femme horaire, 
  • FAUVETTE, totem de Gisèle Goldenbaum, déléguée de la guilde des joueurs de pipeau,
  • Oncle BOB, totem de XXX, instructeur sportif
  • AIGLONNE, totem deXXX*, la sportive…l
  • ’instructeur théâtral 

*Ce sont les totems des personnes. La totémisation est une tradition rituelle scoute consistant à attribuer un totem, c'est-à-dire un nom d'animal reflétant le physique, le comportement ou le caractère, suivi d'un (ou plusieurs) adjectif qualifiant la personnalité...

 

Quelles propositions?

Etaient proposées des activités « surtout joyeuses et bien dirigées », basées sur les nécessités de la vie quotidienne et collective d’une Colonie de Vacances:

  • Des jeux car les enfants ne savent pas toujours jouer seuls. Abandonnés à eux-mêmes, souvent ils se battent ou occasionnent des dégâts. Il faut savoir les faire jouer !
  • *Des Cours d’improvisations théâtrales et préparation des fêtes, accompagnés d’exercices pratiques
  • Cours d’initiation musicale 
  • Des Travaux manuels, (il était impardonnable de ne pas savoir faire fabriquer aux élèves de petits paniers en osier, « penser avec ses mains » 
  • Divisés en verts et en bleus, à chaque groupe une carte d’état-major d’après laquelle traverser une route et un bois et trouver dans les environs une vieille tour ; les bleus qui partent doivent cacher à proximité de cette tour le trésor (en l’espèce un goûter) et les verts, ont pour tâche de le retrouver.

Les Méthodes ? Une philosophie vitale et pratique

Quelques exemples:

  • Donner chaque matin un mot d’ordre bref, clair, qu’on puisse rappeler tout le long de la journée. Le premier mot d’ordre : joie …

  • Au lieu de discourir, lancer une chanson…

  • Exposer une thèse lors d’une conférence : Faire toujours précéder un cours théorique d’une partie de ballon pour être plus frais pour prendre des notes

  • Mettre en valeur dans le hall les œuvres de tous les grands pédagogues modernes et anciennes , praticiens et théoriciens , sont: Jean-Jacques Rousseau, Pestalozzi, Decroly, Montessori et Dewey et Claparède et Ferrière et Bovet et Piaget et Henri Wallon et Bakulé et Makarenko ...

  • Faire tenir des cahiers de notes par les stagiaires avec une clarté, précision, pour condenser les idées essentielles des cours. « Valeur éducative du jeu... » « Composition d’un menu synthétique » « Principes de la méthode de culture physique Hébert » « Flore régionale »

  • Varier les contenus :Hygiène ! Psychologie ! Botanique ! Administration ! Economat 

  • Donner libre cours à l’imagination Pas de rôles appris par coeur ! Pas de fignolage, pas de joli !

  • S’exprimer par de brèves harangues pour l’ordonnance du Discours de la méthode.

  • Créer une cadence de six heures de cours et six heures de jeux et sports par jour 

  • Organiser tous les soirs, à vingt heures trente, au Secrétariat, une réunion de l’équipe des instructeurs pour doser savamment les interventions des instructeurs par Le chef de stage: mettre au point, chaque soir,en tirer la leçon, examiner ses aspects divers, abréger, compléter, apporter une trouvaille, afin que le lendemain coule « avec moins de saccades dans un moule plus perfectionné ». Faire que peu à peu , de ce qui n’est qu’un rassemblement, sorte une collectivité, jusqu’à ne plus distinguer les uns des autres 

  • Privilégier l’Ordre, la Prévision, la Précision,le Plan.

Quelles attitudes, postures?

  • Exiger de l’autre qu’il ou elle se donne en se donnant soi-même .

  • Celui-celle qui reste isolé·e , l’amalgamer à un groupe, sans qu’il·elle s’en aperçoive

  • Être tous·tes partisan·es de l’égalité

  • Quand il y a une fête, penser à y inviter la plongeuse... le balayeur...

  • Conseiller de ne pas se fâcher et ne pas se fâcher pas.

  • Demander de sourire et sourire .

  • Répondre affablement et efficacement, aux réclamations des personnes, du lever au coucher.

  • Ne pas humilier ses cadet·tes ni ses inférieur·es.

  • L’habitude de l’effort sur soi

  • Exiger, exemplifier, simplifier

Ceci simplement rappelé, que reste-t il de cet « amour des Camarades », comme le nomme Juliette Pary?

Certainement, une invitation toujours renouvelée, à tous ceux et celles qui se reconnaissent dans cette histoire et ces pratiques: s’entraîner et réaliser, chacun et avec d’autres, là où il agit là, où il habite, là où il milite des centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active… 

Se faisant, chacun·e nouveau « passeur d’avenir » pour contribuer à « changer la vie » et à l’aimer pour que des enfances, des jeunesses et des peuples ne demeurent plus sans devenir, que des territoires ne soient pas abandonnés et que notre planète soit plus protégée.

Ainsi, les militant·es des CEMEA iront, par le plus court chemin, vers la création et l’innovation éducative, capables de faire face aux défis du 21° siècle, au cœur d’une vie associative forte et démocratique.