SNU, pourquoi pas, mais pas dans la version actuelle...

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Le SNU – Service National Universel – fait encore beaucoup parler de lui. Le président Emmanuel Macron aurait décidé que finalement il ne serait pas obligatoire. Une affirmation que dément le cabinet de la secrétaire d’État Sarah El Haïry qui affirme que tous les scénarios sont toujours sur le bureau présidentiel et que rien n’est décidé. Mais que pense l’éducation populaire du SNU? Les grandes association d’éducation populaire – telles que les Ceméa ou la Ligue de l’enseignement – ont été consultées par la secrétaire d’État chargée du dossier car elles devront jouer un rôle central dans le dispositif. Pour Jean-Baptiste Clerico, directeur général des Ceméa, plusieurs points restent à éclaircir avant un engagement possible de son association dans le dispositif mais pour l’instant, « la forme actuelle du SNU ne nous permet pas de nous y investir » déclare-t-il.

 

  Comment appréhendez-vous ce dispositif aux Ceméa ?

Tel qu’il est engagé à l’heure actuelle, on s’en méfie. Il est questionnant. On pourrait éventuellement être soutien si les questions que l’on pose depuis maintenant deux ans pouvaient enfin être éclairées.

 

C’est-à-dire ?

Il y en a principalement deux. La première a trait à l’obligation dans un cadre unique. En tant que militant de l’Éducation nouvelle, en tant que mouvement pédagogique, nous ne sommes pas contre le principe même d’obligation. Ce principe, lorsqu’il est bien encadré, est même un acte éducatif en soi. En revanche, le fait de proposer un cadre commun à tous et toutes, un cadre unique, très restreint, nous questionne. Le côté obligatoire du dispositif actuel ne nous convient pas. Et lorsque le gouvernement et la ministre avec qui je me suis entretenu, arguent que ceux qui ont participé au SNU en sont satisfaits à 90%, on leur répond qu’il y a un biais épistémologique dans le cadre des études qui nous sont proposées. Les enquêtes sont faites auprès de jeunes, qui certes ont fait le SNU, mais qui ont choisi de le faire. C’est donc très compliqué pour ces derniers d’émettre un avis négatif. Quand des personnes seront obligées, aura-t-on le même taux ? On en doute. Nous sommes donc méfiants vis-à-vis de ces enquêtes. Si on oblige les jeunes mais qu’on leur propose un panel de choix d’engagements, et que cela devient le projet principal du stage, ça peut devenir pertinent. Si un jeune qui veut s’investir vis-à-vis de la collectivité oriente son action sur la protection de l’environnement, sur de l’intergénérationnel, sur de l’accompagnement à la scolarité, sur de l’animation ou dans une volonté d’ouverture internationale… et que le SNU lui laisse choisir son engagement, nous serions alors dans une forme de service national beaucoup plus proche à la fois de ce que nous pourrions défendre mais également du désir d’engagement des jeunes.

 

Et le deuxième point ?

C’est le plus important pour nous. Le projet présenté par la Ministre cible principalement, voire quasi-exclusivement, les jeunes les plus exclus plutôt que ceux qui sont déjà relativement bien intégrés à la République. À l’inverse plutôt, d’ailleurs des publics qui sont actuellement volontaires. En tous les cas, c’est une volonté que le gouvernement confirme. Mais alors que fait-il pour celles et ceux qui ne veulent pas venir ? Comment va-t-il aller les chercher ? Que va-t-il faire d’eux s’ils ne viennent pas ? Et s’ils viennent et qu’ils se conduisent mal ? On entend que la Ministre réfléchit déjà à des mesures de rétorsions comme le fait de ne pas pouvoir passer le permis de conduire ou si le SNU a lieu sur le temps scolaire, d’obliger ces jeunes à le repasser hors temps scolaire… comme une double peine.

Tout cela signifie que le gouvernement, au lieu de réfléchir à un dispositif dont l’objectif est de « ramener à l’intérieur de la Nation » – selon leurs termes – la totalité des personnes, exclura encore davantage ceux qui en sont le plus éloignés.

On voit bien que ce projet n’est pas complétement ficelé d’un point de vue éducatif et pédagogique. Et quand on regarde les bilans des cessions SNU déjà effectués, ça se confirme. Lorsque les stages sont encadrés par des associations d’éducation populaire, ça se passe bien même avec les jeunes les moins volontaires – forcés par leur parents pour certains. Tandis que pour ceux encadrés par des corps en uniforme ou des enseignants – dont ce n’est pas le métier d’encadrer des jeunes sur des temps comme ceux du SNU – le bilan est beaucoup plus mitigé.

Aussi, au-delà du pédagogique, c’est le message politique qui nous interroge. Comment soutenir un dispositif qui exclura encore davantage celles et ceux qui le sont déjà ?

 

Est-ce que les Ceméa participent déjà à l’encadrement du SNU ?

Nous participons aux stages en Outre-Mer où nous avons une habitude ancienne de travailler avec le SMA – Service Militaire Adapté – qui est un vrai facteur d’intégration pour les jeunes en déshérence. Historiquement, en Outre-Mer pour les jeunes en situation de décrochage scolaire et social, le SMA est un dispositif efficace d’insertion. Le SNU est une forme d’évolution du dispositif actuel auquel on peut participer. Cependant, la forme actuelle du SNU en hexagone ne nous permet pas de nous y investir.

 

Lors du rapport de la commission des finances du Sénat, le rapporteur a indiqué que les mouvements d’éducation populaire préféraient la version obligatoire du SNU. Qu’en est-il ?

La question est très complexe. Certaines structures d’éducation populaire possèdent des équipements tels que des internats. Effectivement, pour ces dernières qui depuis trente ans ont énormément investi pour mettre aux normes leurs équipements, il y un besoin économique. Leurs locaux sont moins occupés sur les temps scolaires, cela permettrait donc d’accueillir plus de monde sur l’année et de « rentabiliser » leur équipement.

Aux Ceméa, nous possédons très peu de lieux et nous louons des espaces pouvant gérer de l’internat pour faire des stages BAFA par exemple. Le SNU, hors temps scolaire, nous impacte aussi, puisque les structures préfèrent accueillir un SNU qui a la capacité de payer davantage. Cela nous met parfois en difficulté.

Il faudrait que l’on se mette autour de la table tous ensemble, avec les personnels enseignants aussi, pour discuter de tout cela. Mais la solution à la fois économique et éducative ne serait-elle pas pour ces structures et pour l’éducation nationale à rechercher du côté d’un plan de relance des classes de découvertes ? Il y a là au moins autant d’arguments à trouver que ceux qui sont actuellement mis sur la table pour le développement du SNU.

 

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda