Pas d’écrans avant 6 ans, réaction et propositions

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En 2007, les Ceméa avaient été à l’initiative, avec d’autres associations ou organisations, de prises de positions opposées à l’arrivée des télévisions pour bébé… Mobilisation collective qui après avoir saisi les pouvoirs publics et le CSA à l’époque, avait abouti à la position « Pas d’écrans avant 3 ans ! »

Nouvelle proposition d’interdiction, unilatérale et sans nuance

La nouvelle proposition d’interdiction, unilatérale et sans nuance, formulée par des sociétés savantes du monde de la santé, « Pas d’écrans avant 6 ans », appelle quelques réflexions. La question de la consommation des écrans par les enfants est à la croisée de plusieurs responsabilités : les pouvoirs publics, les industries de programmes et leurs plateformes, les parents, les éducateurs, les enfants eux-mêmes. Il est essentiel de « jouer » sur tous ces leviers, et de prendre en compte le rôle des médias dans un contexte de fortes inégalités sociales. Les médias rendent en effet de grands services aux parents (divertissement, occupation des enfants, faible besoin d’espace…).

Il est nécessaire de mettre en place une régulation stricte des plateformes et de leurs algorithmes, qui captent en permanence l’attention des enfants, dans des logiques commerciales de plus en plus sophistiquées. Les sociétés savantes esquivent cet axe de mobilisation. Par ailleurs, une éducation et un accompagnement des parents sont indispensables. Il ne suffit pas d’une simple sensibilisation à un interdit global. Il faut également éduquer les enfants au choix et à la maîtrise de leurs propres pratiques. Les politiques publiques doivent agir en tant que leviers, à travers des recommandations, des financements de dispositifs éducatifs et l’impulsion de régulations. Cela inclut notamment les missions de l'ARCOM, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Au-delà du slogan « pas d’écrans avant 3 ans », il existe une approche globale et un ensemble cohérent de positions et de recommandations formulées par les associations éducatives dont les Ceméa. Ces principes sont intégrés dans toutes les formations d’éducateurs et d’éducatrices menées par les Ceméa. Par exemple, elles préconisent de ne pas introduire le téléphone mobile ni l’accès à Internet avant l’entrée au collège, d’accompagner les usages des écrans entre 4 et 9 ans, de limiter l’utilisation des écrans avant l’école ou le soir, et de veiller à ce que le temps passé devant les écrans soit maîtrisé. La nécessité d’une approche nuancée et précise est incontournable. L’écran de cinéma est par exemple, un excellent contre point à l’usage addictif des écrans qui sont instrumentalisés par les géants du numérique. L’écran de cinéma est un moment de partage où c’est le spectateur qui va vers l’objet et ce n’est pas l’objet qui vient capturer l’attention pour vendre quelque chose.

Les interdictions pour être suivies d’effet doivent être crédibles. Aujourd’hui, les enfants de moins de 6 ans passent 90 minutes en moyenne par jour en face d’un écran (Elfe, 2022 [1]). Les enfants des classes populaires sont ceux qui utilisent le plus les écrans. Les interdits ne suffisent pas. Au-delà des écrans, il faut proposer, des alternatives notamment à leur consommation excessive ou inappropriée, à travers une offre de loisirs diversifiés et de qualité. Des pratiques d’activités ludiques, physiques, artistiques, de découverte de la nature, dans des lieux collectifs, accessibles financièrement, comme le proposent les associations d’Éducation populaire, favorisent le développement socio affectif et cognitif de l’enfant.

Les Ceméa demandent et font les propositions suivantes :

·       La diffusion des études récentes qui accréditent cette position nouvelle d’interdiction des écrans avant 6 ans et rendraient obsolète la précédente, et un débat interdisciplinaire, contradictoire, avec différents chercheurs sur cette question, en tenant compte de la dimension socialement située des pratiques médiatiques. Eviter les écrans avant 3 ans est déjà compliqué pour de nombreux parents, et assistantes maternelles, mais la recommandation est désormais connue et diffusée depuis plus de 15 ans.

·       L’interdiction quand elle est détachée des pratiques sociales a tendance à renverser les responsabilités : au lieu de renforcer le contrôle sur les divertissements accessibles aux jeunes, ce sont les parents qui deviennent coupables ; renforcer la régulation est donc une priorité.

·       L’organisation urgente d’un travail de concertation, réunissant tous les acteurs et actrices concernées et l’élaboration d’une véritable politique publique, concernant les pratiques des enfants et des écrans, qui reprennent les recommandations de nombreux rapports souvent pertinents, faites ces dernières années et restées la plupart du temps sans suite, excepté des mesures ponctuelles et fréquemment synonymes d’interdits, nécessaires parfois, mais insuffisants.

·       Une mobilisation forte de la dimension de l’éducation dans tous les temps et espaces de l’enfant, dans l’intérêt général de l’enfant, contre sa marchandisation ; la question de l’enfance ne doit pas être « pensée » uniquement sous l’angle protection et santé, mais aussi sous l’angle éducatif, ainsi qu’au regard de la défense de ses droits culturels.

[1] Kevin Diter, Sylvie Octobre, Enfants et écrans durant les six premières années de la vie à travers le suivi de la cohorte Elfe, 2022-7, Culture Etudes. Ministère de la culture.