On connaissait la tendance naturelle, logique, de la religion
chrétienne, comme les autres religions du livre, à intervenir dans la
sphère publique au nom de sa morale : hier comme aujourd’hui, ivg,
famille, homosexualité, programmes scolaires… C’est normal pour des
religions qui se sont construites sur une révélation qui dit le vrai, donc
le bien, donc le mal qui est alors à combattre.
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Cette fonction naturelle connaît depuis quelques années une
accélération liée non plus seulement à l’action de disciples zélés qui
savent entraîner autour d’eux, mais à l’arrivée de gouvernants qui
prennent des décisions politiques au nom de leurs croyances. On se
souvient de la guerre contre « l’axe du mal » initiée en Irak en 2003
par les États-Unis et leurs alliés, qui n’est pas pour rien dans le chaos
politique et religieux actuel. Georges Bush Jr n’est pas le seul exemple
de cette pénétration du religieux dans le politique ; en France, la
campagne politique des « primaires de la droite », les positions des
divers candidats et en particulier de celui qui en est sorti vainqueur
montrent que l’adhésion personnelle aux positions conservatrices et
morales de la droite catholique se traduit aujourd’hui en programmes.
L’ordre moral n’est plus seulement porté par le combat des zélotes, il
est devenu celui des projets politiques.
Cet ordre moral n’est pas que religieux. Est récemment réapparue au
grand jour la bonne vieille morale du bon pauvre, du bon chômeur,
méritant, travailleur, courageux, à l’opposé des profiteurs du système
de protection qui vivent grassement et impunément dans l’assistanat.
Car il est évident pour les pourfendeurs de ces millions de supposés
parasites que la solidarité nationale, basée sur un principe de mise
en oeuvre de droits, conduit à l’assistanat dans cette nouvelle forme
de pensée stigmatisante. On trouve également ici le « bon » malade,
celui qui est vraiment malade, et le pseudo-malade qui renforce
quotidiennement le déficit de la Sécurité sociale et qui n’a qu’à se
débrouiller tout seul avec sa médication de confort et son assurance
maladie privée.
Ordre moral, encore, cette morale de l’économie ultra libérale qui met
l’ubérisation à l’avant-garde de la nouvelle entreprise et de la nouvelle
économie. Chacun pour soi dans un marché dérégulé, et que le
meilleur gagne ! Au passage, pas ou peu de droits sociaux, pas de filets
de protections collectives, mais qu’importe. Ordre moral, toujours, ces
collectivités publiques qui taillent dans les budgets de l’insertion et du
social au nom de la lutte contre l’assistanat : si on est au chômage,
c’est qu’on le veut bien, qu’on n’a rien fait contre, qu’on se laisse aller.
Ordre moral, aussi, le centrage de la psychiatrie sur le rationnel
observable, sur la réponse technique à apporter à une question
technique identifiée dans le dsm 5. Dans cette forme de pensée, il
n’y a pas de place pour l’irrationnel du sujet, pour la dynamique de
l’inconscient. Et ce n’est pas seulement par pragmatisme illusoirement
rationnel, c’est aussi parce que l’inconscient c’est sale, ça fonctionne
avec des pulsions honteuses, parce que ça parle de sexe en permanence.
Horreur ! Et reparlons ici de l’autisme avec l’émergence d’une pensée
idéologique qui là aussi dit le bien et le mal dans les pratiques sous
couvert de fausse science, dans l’ignorance volontaire des complexités.
En ce printemps électoral, il peut être bon de questionner tous les
porteurs et les ténors d’une morale conservatrice, réactionnaire,
antisociale. vst y contribue ici au nom de ses propres choix qui sont
ceux des ceméa : principe de service public, approches collectives
et institutionnelles, promotion des pratiques de psychiatrie sociale
et des approches psychodynamiques, relativisation des approches
cognitivistes et comportementalistes. Un beau programme.
François Chobeaux
Avec les contributions de Anne-Marie Leyreloup, Jean-Pierre Martin, David
Ryboloviecz, Henri Santiago-Sanz, Joseph Rouzel
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