En chaque instant de sa vie, du fait des résonances entre ses réalités psychiques des mondes internes et les réalités sociales et environnementales des mondes externes, l’être humain est renvoyé à une tension plus ou moins vive dont le sens en lui évoqué lui échappe, même quand il dit comprendre, savoir ou maîtriser la situation. Aussi ne peut-il intégrer cette tension à son espace psychique. S’il s’efforce de s’en délivrer en parlant, analysant puis en élaborant ce qu’il ressent confusément, il parviendra à comprendre pourquoi une situation actuelle est ainsi vécue par lui. Il sera alors en mesure d’intégrer cette nouvelle expérience à sa vie psychique en augmentant dans le même mouvement son territoire psychique ( Zaltzman, 2007) c’est-à-dire aussi son équipement psychique et culturel ou sa capacité à penser ses expériences actuelles ou antérieures et les liens entre elles. S’il ne cherche au contraire qu’à s’en débarrasser de façon plus ou moins expéditive, la délivrance par cette voie s’avèrera toujours momentanée et illusoire. Chaque nouvelle énigmatique tension vécue viendra se cumuler aux précédentes restées en souffrance augmentant le nombre des objets non liés parce qu’impensés, les laissant impensables jusqu’à nouvel ordre. Non liés, ils sont en dépôt en lui, mais sans qu’il en ait conquis l’expérience, aussi encombrent-ils son espace psychique et en diminuent l’étendue et la réceptivité à de nouvelles expériences. Certes, le sujet peut s’être construit une théorie sur ce qui lui arrive, par exemple, selon une modalité délirante paranoïaque. Équipé s’un tel appareil psychique, véritable machine à interpréter persécutivement tout ce qui lui advient, le sujet clive et localise toujours hors de lui le mal, le mauvais, la faille, le négatif, l’insupportable, l’impur, etc. Il parvient ainsi à faire entrer de force toute nouvelle donnée dans son système en le validant à ses yeux, passant à côté de l’inadvenu et de toute occasion de se confronter à la multiplicité des altérité, des réalité extérieures et intérieures, de se laisser altérer et faire de ce qu’il vit une expérience transformatrice.
À chaque nouvelle tension énigmatique, l’être humain doit se défendre de ses effets corrosifs. Il est tiraillé entre deux voies. D’un côté, une tentation nihiliste l’attire vers le pire et le pousse dans les bras de ses pulsions de déliaison libérées de tout contrôle des pulsions de liaison. Des défenses paranoïaques et perverses ont alors le champ libre ; mais ce peut-être d’autres modalités de défense selon les ressources dont l’individu est capable pour lutter contre son effondrement (Winnicott, 1989) . De l’autre, une tentation héroïque le pousserait bien dans son mouvement d’humanisation progressive. À chaque instant un combat se livre en lui entre les pulsions de vie et les pulsions de mort, entre Éros et Thanatos.
Selon les qualités de présence des autres qui forment son environnement et la capacité de cet environnement à le contenir ou pas, à endiguer ou pas les effets destructeurs de ses premières attaques réactionnelles à cette tension, le sujet aux prises avec ces forces antagonistes excitées en lui peut tout aussi bien basculer d’un côté que de l’autre du bord où il se tient : soit vers un agir violent et destructeur de lui-même ou de l’autre ou de l’objet — avec ou sans idéologie de légitimation à l’appui — soit vers un sursaut créatif, un effort de penser, métabolisant psychiquement cette tension, facteur dans ce cas d’un mouvement de remaniement psychique heureux pour lui-même et pour sa relation à son environnement.
M. André SIROTA
Professeur émérite de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Directeur de recherche en psychopathologie sociale clinique
Président de la société française de psychothérapie psychanalytique de groupe
Membre du Conseil National de l’Innovation pour la Réussite Educative
Président du Conseil d’Administration national des Ceméa.
Également, vient de paraître aux édition Erés, une réédition du livre
Des Clés pour réussir au collège et au lycée
Sous la direction de FRANCOISE REY - ANDRE SIROTA