Le rythme est intimement lié à la notion de
temps, que ce soit en musique ou dans la vie
de chacun. Les questions qui traversent
actuellement l’école sur les rythmes scolaires,
me rappellent que le temps passe et que nos
projets de mettre l’enfant au centre du dispositif
éducatif demeurent.
« On s’est connu, on s’est reconnu, on s’est
perdu de vue, on s’est reperdu de vue… »
chantait Jeanne Moreau dans Jules et Jim.
Mais dans ce « tourbillon » autour des
rythmes et du temps qui passe et repasse en
fonction du tempo des ministères, des
projets, des études, des expérimentations,
des réformes, des polémiques et des différents
intérêts de la société, la prise en compte de
l’enfant me semble à contretemps. Comme
le temps passe.
Article écrit par Anne Sabatini, et Olivier Ivanoff Pour le VEN N° 551
Avant d’entrer dans la réflexion que
nous propose Olivier Ivanoff dans
l’article ci-après, revisitons pour
mémoire, les différentes étapes qui
ont marqué l’histoire des rythmes
scolaires. Dès 1882, avec la loi Ferry
sur l’enseignement primaire obligatoire,
la question d’un jour vaqué (pour que
les « têtes blondes » de l’époque puissent
suivre les cours d’instruction
religieuse) est posée. En 1972, le jeudi
se transformera en mercredi sans véritable
argument en lien avec l’intérêt
de l’enfant. Avec les années quatrevingt,
les études en chronobiologie se
développent ; commencent alors des
débats où la question des rythmes est
posée avec un autre regard, plus
centré sur les élèves. La loi d’orientation
de 1989 qui met officiellement l’élève
« au centre du système » confirme
cette approche en réaménageant l’année
scolaire et en allégeant la semaine
d’une heure. Viendra ensuite la période
des expérimentations de nouveaux
rythmes scolaires (semaine de quatre
jours avec raccourcissement des
vacances scolaires) ou d’aménagement
du temps scolaire (sport et activités
culturelles, l’après-midi) à laquelle
Olivier Ivanoff fait référence. En 2008,
l’histoire des rythmes scolaires est
marquée par la suppression du samedi
matin sans réorganisation des temps
de la semaine et de l’année, et par
la mise en place de l’aide individualisée
sur les temps méridiens soit avant,
soit après la classe. Cette réforme a
été très contestée et les Ceméa avaient
alors soutenu les enseignant-e-s du
premier degré dans leurs inquiétudes
face aux incohérences de ce choix.
Une conférence nationale sur les
rythmes scolaires était alors mise en
place en 2010. Son rapport proposait
la refonte de la semaine scolaire avec
abandon de la semaine de quatre
jours au profit d’une semaine d’au
moins neuf demi-journées mais aussi
de l’année scolaire avec un raccourcissement
des vacances d’été et le
maintien du volume horaire annuel
de classe sur trente-huit semaines au
lieu de trente-six. Enfin, dernier épisode,
le rapport issu de la concertation
« Refondons l’école de la République »
propose également un retour à une
semaine de neuf demi-journées.
Il envisage aussi la possibilité d’allonger
d’une à deux semaines l’année scolaire
en supprimant le zonage de certaines
petites vacances pour respecter l’alternance
de sept semaines de coursdeux
semaines de vacances. Mais, la
parution du décret sur les rythmes
scolaires prouve que cette nouvelle
réforme ne va pas au bout de la
logique et que, à nouveau, d’autres
intérêts, bien éloignés de ceux des
enfants-élèves ont prévalu.
C’était en 1996. Les ministères de l’Education
nationale et de la Jeunesse et des sports
avaient mis en place des sites pilotes pour
travailler sur une réforme des rythmes scolaires.
Différents projets avaient été initiés.
Ces aménagements des rythmes scolaires
devaient permettre une expérimentation
prenant en compte l’enfant et son rythme
de vie de façon plus globale, en considérant
à la fois le temps scolaire et le temps périscolaire.
Ces mises en situations réelles
devaient servir de bases concrètes pour une
refonte des rythmes scolaires. La commune
dans laquelle je dirigeais une école a fait
partie de ces sites pilotes. La réflexion et la
proposition d’une organisation n’ont pas
toujours été faciles, mais elles ont été passionnantes
et intenses. Enseignants, parents
d’élèves, élus et institutionnels des différents
ministères ont multiplié les réflexions,
les réunions, les concertations… Pour finir,
la proposition retenue s’est appuyée sur
deux principes : diminuer la journée de
travail de l’enfant et rendre plus régulier
le temps passé à l’école, avec le moins de
coupures possibles. Les enfants ont donc
terminé plus tôt la classe et ont travaillé
tous les samedis matins pour éviter une
coupure de deux jours pleins dans la semaine
et l’irrégularité – à l’époque un samedi sur
trois n’était pas travaillé. Pour compenser
ces heures, les vacances ont été réduites de
quelques jours. En parallèle, il a également
été mis en place des activités périscolaires
culturelles et sportives facultatives et gratuites
après la classe et un aménagement de la
pause méridienne, permettant aux enfants
qui mangeaient à la cantine, d’aller à la
bibliothèque, en salle informatique, de participer
à des activités, mais également leur
laissant la possibilité de jouer avec leurs
copains ou de trainer dans la cour sans rien
faire. Vous n’avez pas fait d’erreur de lecture,
ni changé de siècle, nous sommes bien en
1996.1 Il y a également eu un colloque sur
cet aménagement avec la participation d’un
chronobiologiste et une analyse effectuée
par un bureau d’étude. Si les retours ont été
positifs concernant la prise en compte plus
globale de la semaine et de la journée de
l’enfant, ainsi que l’ouverture culturelle des
activités périscolaires, la trop faible diminution
du temps de classe, n’allégeant pas la
journée de manière significative, n’a pas
vraiment représenté d’incidence sur le rythme
de vie des enfants. En raison du caractère
local et ciblé aux écoles élémentaires de
l’expérimentation, on ne pouvait générer de
décalage trop important avec la maternelle
ou le collège, ce qui aurait créé des situations
ingérables pour les familles. Mais il faut
resituer le projet dans la logique d’une
expérimentation. Cette première étape de
mise en pratique devant servir à une réflexion
plus globale sur la refondation des rythmes
scolaires. Cette expérimentation a également
mené à s’interroger sur le statut, la rémunération,
la formation des intervenants
travaillant dans le périscolaire et les liens
à établir avec l’école et les enseignants.
Les lieux sont les mêmes, les enfants sont
les mêmes, les temps sont parfois partagés,
certaines personnes pouvant intervenir dans
le périscolaire et le scolaire. Les enjeux sont
différents mais l’objectif global commun :
l’Education de l’enfant.
Méfions-nous des apparences
Il ne s’agissait pas de créer une nébuleuse
où tout se serait mélangé et où l’enfant
n’aurait plus su où se situer. Ni une école
qui perdrait de vue ses objectifs d’apprentissages
scolaires, ni un temps périscolaire
qui deviendrait une annexe de l’école.
Des temps et des adultes complémentaires
et distincts, qui pourtant peuvent interagir.
Et puis, les ministères ont changé et on n’a
plus parlé de ces sites pilotes. Quelques
années après, l’Inspection académique a
fixé un calendrier scolaire dans lequel
un samedi sur deux n’était pas travaillé.
Puis, on est passé à la semaine des quatre
jours. Il n’est plus resté de cet aménagement
des rythmes scolaires, que les activités périscolaires
et l’aménagement du temps de
cantine. Aujourd’hui, il semblerait qu’un
presque « copier-coller » de ce que nous
avions mis en place soit proposé. Mais ne
nous y trompons pas et méfions-nous des
apparences. Un des principaux enseignements
que je retire de cette expérimentation vécue
est la nécessité de prendre en compte la
globalité et l’interaction de tous les acteurs
directs ou indirects : enfants, familles, enseignants,
animateurs, cantine, mairie, associations,
société civile en général… se
déclinant en termes de rythme, de temps,
de disponibilité, de locaux, de transport, de
prise en compte d’une réalité spécifique et
de financement. Le tout interagissant dans
un contexte pouvant modifier complètement
l’intention de départ. Bien avant cette expérimentation,
m’appuyant sur les études des
chronobiologistes et mon expérience dans
les séjours d’enfants, j’avais essayé de
modifier les plages de l’emploi du temps de
ma classe, décalant certains apprentissages
plus tard dans l’après-midi, période plus
propice en terme de rythme. Mais, je me
suis aperçu, que ce que je n’avais pas pris
en compte, c’était la fatigue de beaucoup
d’enfants, qui amenait une baisse d’attention
et de disponibilité. Intellectuellement, mon
projet était et reste cohérent, mais ce que
j’avais organisé ne tenait pas compte d’un
contexte. Dans un séjour de vacances d’enfants,
beaucoup de paramètres liés au
rythme sont maîtrisés : les heures de coucher,
le réveil individualisé, les activités possibles
et proposées, l’alimentation… Ce qui n’est
pas le cas à l’école, où il faut prendre
en compte cette diversité et s’adapter à
la réalité d’un hors cadre. Il faut se méfier
de la réponse simple à des questions complexes.
L’aménagement des rythmes scolaires
n’est pas simplement un problème d’horaires,
qu’il suffit de réduire et de compenser
par du temps de garderie ou d’animation.
Ce n’est pas qu’une variable qu’il suffit de
modifier légèrement pour être moins fatigué
et apprendre mieux. Les rythmes scolaires
font partie de la base fondamentale d’une
politique éducative. La réflexion sur les
rythmes scolaires amène, de fait, à s’interroger
sur le fond.
Quel est le rôle de l’école ? Comment prendre
en compte son ouverture sur le monde ?
Quelle place y occupent les enfants ? Quel
est le rôle des enseignants ? Quel lien entre
la famille et l’école ? On a le sentiment que
ces problématiques sont cloisonnées et analysées
en fonction des situations, des intérêts
et des convenances de chacun, sauf des
enfants, qui eux, se trouvent à la charnière
et tiraillés. Les enseignants ont tendance à
se plaindre des parents qui ne sont pas suffisamment
présents pour les soutenir dans
leur travail, des enfants qui arrivent fatigués
en classe, ne sont pas disponibles pour
les apprentissages, se couchent trop tard,
ont des journées trop longues avec garderie
et étude… Les parents, eux, ont tendance à
reprocher aux enseignants une non-prise
en compte des spécificités et des réalités de
leurs enfants, tout en ayant la représentation
d’un enseignement sublimé et figé dans
le temps.
Articuler les temps
Continuons-nous à faire semblant de croire,
que tous les enfants lisent, vont à la médiathèque
et se reposent pendant leurs temps
de loisirs, pour être en forme ensuite pour
les apprentissages scolaires et parallèlement
à cela, que l’école peut Tout et est responsable
de Tout ? Ou nous penchons-nous avec réalisme
sur cette problématique pour adapter
l’école à la réalité de la société actuelle, des
familles et des enjeux de l’avenir. Quelle
place et quel rôle laissons-nous à l’enfant
dans l’école et pourquoi ? Souhaitons-nous
former de futurs adultes qui appliquent et reproduisent, ou qui osent, cherchent, inventent,
décident, se prennent en main et
coopèrent ? La prise en compte du rythme
de l’enfant dans l’école et ses incidences sur
l’environnement éducatif est au coeur de
choix politiques majeurs. L’aménagement
des rythmes pose également des questions
de fond sur la place, le rôle et la formation
des adultes dans le temps périscolaire.
Une opportunité
pour transformer l’école
Est-ce un simple « petit boulot » de circonstance
pour quelques heures, ou ces animateurs
sont-ils reconnus comme éléments
stables et importants dans le cadre d’une
prise en compte éducative des enfants ?
Avec quel statut ? Comment organiser leur
emploi du temps pour qu’ils puissent en
vivre, avec quelles autres missions ? Quelle
articulation peut-il y avoir entre le temps
scolaire et périscolaire pour favoriser le lien
et le sens ? Sur les mêmes ordinateurs, les
enfants font de l’informatique en classe
avec l’enseignant et en périscolaire avec un
intervenant.
Pourtant, il n’y a aucun contact entre les
deux personnes. On dirait qu’ils ignorent
chacun le fait que l’autre existe, qu’ils amènent
tous deux les enfants à utiliser internet,
un moteur de recherche… Il ne s’agit pas
de poursuivre le travail scolaire après l’école
ou de changer les contenus d’apprentissage
de la classe mais créer du lien permettrait
de renforcer le sens de l’activité pour les
enfants. Si la réforme des rythmes scolaires
actuellement engagée avec sa réduction
et sa réorganisation de la journée et de
la semaine est un produit fini, il me semble
que l’on passe à côté d’une opportunité
majeure de transformation de l’école.
Par expérience, je crains que la réduction
d’une demi-heure à trois-quarts d’heure
(en fonction de la participation ou non
des élèves aux activités pédagogiques complémentaires
faites par l’enseignant), ne soit
pas suffisante pour influer de manière
notable sur la fatigue de l’enfant avec
le risque d’une accumulation de fatigue
sur la semaine en fonction de ce qui est fait
le mercredi. Le contexte de mise en place
des activités périscolaires est également
susceptible d’amener des municipalités à
se questionner davantage sur la forme,
l’organisation à mettre en place et sa gestion
financière et matérielle, que sur le fond.
Il est pourtant essentiel que cette prise en
compte des rythmes de l’enfant-élève avance
enfin. Que sous couvert de réflexion sur
le sujet, on ne reporte pas à dans vingt ans
le fait de se pencher à nouveau sur les
rythmes scolaires et les journées trop longues.
Pour reposer comme aujourd’hui les mêmes
problématiques que nous avions travaillées
en 1996 avec les sites pilotes. La question
des rythmes scolaires est posée nationalement.
Il me semble important de la faire avancer,
évoluer. Que ce premier pas ne soit pas
le dernier, que l’on aille plus loin dans
la réduction du temps de la journée, et
que cela soit le moteur pour repenser plus
globalement le calendrier scolaire de l’année
et les vacances, les programmes, la place
des enfants et des adultes dans l’école.
Une partition pour la refondation de l’école
à jouer ensemble et en rythme.
Dans le cadre de la mise en place de la réforme des rythmes voulue par le ministère de l’Education nationale, Le projet éducatif de territoire PEDT constitue un autre levier indispensable, complémentaire à la mise en place des neuf demi-journées : parler des rythmes, c’est redonner la priorité aux enfants, à leur épanouissement, à de meilleures conditions d’apprentissage participant ainsi à la lutte contre les inégalités mais il serait réducteur de croire qu’ils représentent le seul levier pour lutter contre les déterminismes sociaux induits par l’école. Ils doivent être accompagnés d’autres mesures, complémentaires, pour justement permettre à l’école d’être source d’émancipation pour tous les enfants. Le PEDT peut être un espace privilégié pour cela parce que, entre autres : – Il s’inscrit dans une réflexion sur le sens de l’action en même temps que dans une méthodologie du projet ; – il relève d’une démarche au service d’une éducation globale qui prend en compte l’ensemble des temps, des espaces éducatifs et non pas la seule dimension scolaire ; – il implique une mise en synergie de tous les acteurs et actrices éducatifs et rend réelle la co-éducation, rend possible le métissage des cultures professionnelles. Autant de raisons qui légitiment l’implication des Ceméa, mouvement d’Education nouvelle, dans la mise en place de ces projets aux enjeux ambitieux. Une bonne manière de faire vivre nos valeurs... |