Non à la téléréalité sur une chaîne pour enfants
Sophie Jehel, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris 8 et agrégée en sciences économiques et sociales, Christian Gautellier, Président de l’association Enjeux e-médias, Directeur de la Communication et des Publications des CEMEA.

Gulli, la chaîne gratuite pour les enfants, vient d’inaugurer un nouveau concept : un jeu de téléréalité avec des enfants et leurs parents, Tahiti Quest. Ce n’est certes pas la première émission qui cible les relations entre parents et enfants. Le problème est qu’au-delà de la compétition ludique, elle expose les faiblesses des enfants, qui sont soumis à une double pression du fait de la situation du jeu et des demandes de leurs parents.

On a pu voir en effet, dans différents épisodes, des enfants pleurer avant l’épreuve par l’effet du stress, hurler pendant, sangloter après. On nous a montré un père se disant « déçu » que sa fillette de 8 ans ait craqué devant une épreuve, un autre que son enfant ait « pénalisé toute la famille ». Le jeu transforme les parents en coach sportifs et moraux de leurs enfants, autour d’un impératif selon lequel « il ne faut rien lâcher ». Conformément à la logique de la téléréalité qui « place des personnes anonymes ou connues dans des situations artificielles créées par la production afin d’observer leur comportement et de susciter des réactions positives ou négatives chez le téléspectateur […] » pour reprendre une définition du CSA, les enfants se retrouvent vivre une situation artificielle. Ils sont filmés dans leur intimité, au réveil, au petit déjeuner, sur des plages paradisiaques, entourés de leurs parents. Mais ceux-ci ne sont pas en situation d’assurer leur protection, puisqu’ils sont eux-mêmes partie prenante du jeu, conduits, selon les épreuves, à se dévaloriser parce qu’ils ont perdu une épreuve (une mère dit ainsi « je suis une grosse nulle », « un fardeau pour la famille », confession que le montage garde soigneusement). Une douzaine de pédopsychiatres et psychologues s’inquiètent des retombées que la diffusion de l’émission peut avoir dans l’équilibre psychologique et la vie quotidienne des enfants.

L’association Enjeux e-medias, s’appuyant sur leur expertise, a saisi le CSA pour lui demander d’intervenir au nom de la protection des mineurs). Cette émission valorise un modèle éducatif particulier : celui de la compétition dès le plus jeune âge, au prix de la théâtralisation des émotions, et du sacrifice de la vie privée.

Oui, sur les écrans des enfants, à d’autres modèles de jeu qui valorisent la solidarité, la coopération, en respectant le droit de l’enfant à s’exprimer, tout en le protégeant dans sa sensibilité. Cela suppose de sortir les jeux télévisés pour enfants d’une logique commerciale et d’en faire des outils de socialisation pour une société respectueuse et solidaire.

Sophie Jehel, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris 8 et agrégée en sciences économiques et sociales, Christian Gautellier, Président de l’association Enjeux e-médias, Directeur de la Communication et des Publications des CEMEA.


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