Le début d'une aventure
Cette première fois a eu lieu, en 1937 à Beaurecueil, il y a plus de 80 ans mais cette structure d'organisation de formation est plus que jamais d'actualité.
Il était une fois
Il était une fois le début d’une aventure qui dure encore et qui au fil des années n’a rien perdu de son originalité : le stage, espace et lieu irremplaçables de formation des personnes au travers du vivre ensemble. Gisèle De Failly, fondatrice des Ceméa nous conte par le menu l'histoire du premier stage.
Une conjonction de premières fois
Il est inutile de raconter ce qu'est ce premier stage : cette forme de vie et de travail est connue ; d’autre part, il y faudrait au moins un volume à écrire. Mais il a ceci de très particulier qu’il est aussi imprévu pour les instructeur·trices que pour les stagiaires ; toustes s’y engagent pour la première fois. Pensant qu’il s’agit d’une suite de conférences, les participant·es s’attendent à être reçu·es dans un amphithéâtre et sont saisi·es lorsqu’il·elles se trouvent devant un magnifique château féodal inoccupé depuis quatre ans, en pleine campagne, à Beaurecueil, à quelques kilomètres d’Aix-en-Provence, et qu’ils comprennent qu’ils vont vivre là pendant dix jours.
À la conquête des enseignant·es
La parole de Vieux Castor1, éloignée de l’éloquence, touche juste au point sensible. Ce qu’il dit est vécu, vrai. Nul ne peut y rester indifférent. L’élargissement du scoutisme dans ce qu’il a de meilleur, la conquête du milieu enseignant... l’enjeu est pour lui d’importance et il a fait venir les meilleurs des sien·nes, les plus qualifié·es, ne serait-ce que pour une journée.
Chacun·e découvre ce qu’est un mouvement. Des gens divers arrivent de partout pour « apporter quelque chose ». Tous·tes semblent parfaitement se connaître et être uni·es par une réelle amitié. Ils et elles désintéressé·es entrent directement dans le jeu. Nul·le ne se met en vedette. La communication est facile et facilitée dans cette atmosphère. Au cours de ces dix jours, c'est l’occasion de constater que le sentiment d’euphorie initial a peut-être été un peu excessif. Henriette Goldenbaum2 et Gisèle De Failly3 apportent les idées et la formation de l’Éducation nouvelle. Outre les représentants officiels, les autres membres de l’équipe sont tous·tes des Éclaireur·euses de France. Parmi eux·elles se trouve André Schmitt chargé des jeux et de l’éducation physique.
1 Alors commissaire national adjoint des éclaireurs de France.
2 Militante des Ceméa, spécialiste des activités musicales
3 Fondatrice des Ceméa
Quant au mot « stage », il n’existait pas encore
Des tensions inévitables mais un creuset d’expériences
Chaque jour se déroule une réunion d’instructeurs, c'est une remarquable méthode d’analyse de la journée et du travail. ce temps de travail regroupe une quinzaine de personnes. On y fait le déballage de tout ce qui avait frappé. L’unanimité n’ést pas aussi totale qu’elle peut apparaître de l’extérieur. Malgré une estime mutuelle, les protagonistes sont souvent critiques. Cela ne manque pas d'être troublant : si les participant·es ont droit aux égards, pourquoi ne pas prendre les mêmes précautions ? Chaque instructeur·trice a sa ou ses « spécialités », La vie en complète communauté entre responsables et participant·es confére une atmosphère de confiance totale. Ce contact permanent, à égalité, s'avére presque l’essentiel du « stage ». Les moniteur·trices, eux·elles non plus, ne sont pas des professionnel·les de l’éducation. Le nombre d’expériences et d’acquisitions qui sont faites dans tous les domaines, y compris les domaines dits « scolaires », paraît étonnant par rapport à la simplicité des moyens déployés.
Les discussions débordent facilement de leur point de départ. Le champ de l’éducation devient tout naturellement très large. La valeur des instructeur·trices y est pour beaucoup, mais c’est bien tout l’ensemble du centre d’entraînement qui, en un temps si court, rend possible de faire tant de découvertes qu’aucune école n’avait su proposer, de faire renaître la curiosité, de multiplier l’énergie, de créer l’enthousiasme. Cette expérience est-elle renouvelable et peut-elle se développer ?
Ce terme auquel nous nous sommes habitué·es, reste plus que jamais d’actualité. L’Éducation nouvelle a été, est et sera, intemporellement.
Comment baptiser cette « expérience » ? Le terme « centre de formation », qui aurait convenu, vient d’être utilisé. L'expression « centre d’entraînement », ne plaît pas tout à fait, mais souligne l’aspect pratique et vivant de ce qu'il est prévu de réaliser. Comment appeler ceux et celles que le scoutisme dénomme les instructeur·trices ? Ce mot est en opposition avec la conception de l’Éducation nouvelle sur les rapports entre éducateur et éduqué. De plus, il rappelle l’armée. À regret le terme « éducateur·trice » paraît trop ambitieux et trop noble. Qui peut se dire éducateur·trice ? Instructeur·trice est donc retenu... provisoirement.
Et le terme « méthodes » vit le jour
Après le premier stage, l’enthousiasme des stagiaires est immense, ainsi que leur désir d’appliquer les idées et les manières de vivre qu’ils ont découvertes. Sera-t-il possible d'appliquer les méthodes de Beaurecueil sur le terrain des colonies de vacances ? Le mot « méthode » frappe l'oreille. Comment ce mot pourrait-il qualifier et « cadrer » l’aventure unique, faite d’appréhension, d’inquiétude, de fantaisie, d’imprévu, utilisant toutes les ressources de l’imagination, qui est vécue ? Cependant si c'en est une, elle n'est nullement fixée une fois pour toutes, elle laisse une large place à la création et à l’invention, car une grande partie du stage reste indéterminée et imprévisible. Le stage peut devenir, avec des aménagements nécessaires, un champ d’application de l’Éducation nouvelle. Un changement radical d’attitude envers les enfants, une autre conception de l’enfance qui détermine un autre comportement. Beaucoup de jeunes se retrouvent dans cette nouvelle manière d’envisager l’éducation et y adhèrent pleinement comme si elle répond à une demande inconsciente de leur être. Le stage change les vies, l’orientation des vies ». Cette phrase, entendue des dizaines, puis des milliers de fois, donne toujours le sentiment que cet effort vaut le coup d’être fait. « Changer la vie » est déjà l'objectif. Si le « changement des mentalités » ne suffit pas à transformer le monde, il contribue à une prise de conscience d’une grande importance. Cependant, le mot « méthode » implique la possibilité de renouveler l’expérience et de savoir ce qui n’est pas totalement lié aux personnes et peut se refaire dans d’autres circonstances. L’importance du recrutement de nouveaux instructeur·trices, de leur qualité humaine, de leur formation apparaît déjà comme une des premières nécessités. La création, l’organisation de ce premier stage représente une sorte de schéma de la longue histoire qui va suivre et je crois que tous·tes nos responsables peuvent se reconnaître dans le récit qui précède. Les conditions de cette genèse marquent les formes de la vie du mouvement. Encore aujourd'hui les Ceméa connaissent une situation complexe, jouant un rôle de liaison entre des milieux divers, travaillant avec l’école publique tout en vivant dans une situation marginale par rapport à la hiérarchie et au système scolaire, conquérant une place, jour après jour, par une action « à la base » qui se multiplie et se diversifie.