Jeux, vie physique, sports

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C’est une gageure de résumer le chemin accompli par le groupe "Jeux, vie physique, sports" dont "Jeux et Pratiques Ludiques" est une émanation. Alfredo Ferraruela, militant de Paca, propose ici sa version.

Bref historique du Groupe National Jeux Vie Physique, Sports

Comme toute institution ou organisation, un groupe de réflexion est un corps vivant et comme tel, soumis à toutes les influences internes et externes. Evoquer des passages de son histoire oblige à faire une incursion dans certains cadres théoriques, à décrire quelques enjeux liés aux époques ainsi que de présenter les parcours et les motivations de ceux et celles qui ont créé ou accompagné cette aventure.

C’est une démarche essentielle de concilier la pérennité des principes et des valeurs des Ceméa avec des réalités actuelles et leurs incertitudes. Surtout à une époque des tohu-bohus conceptuels et du prêt à porter de la pensée. 

Dès les premiers « stages » des CEMEA, la dimension « corporelle » a été intégrée à leur contenu. Ce choix, ils le doivent à deux responsables de l’époque : André Schmitt et André Boulogne. Le premier était très intéressé par les thèses de Georges Hébert, partisan d’une activité physique  naturelle ; cette approche très influencée par des courants hygiénistes et nommée aujourd’hui l’éducation à la santéavait trouvé un terrain d’application fertile dans les « colonies de vacances » ainsi que dans les stages de formation. Cela d’autant plus que dans les années qui ont suivi la fin de la guerre, l’un des objectifs des Centres de Vacances était justement de donner aux enfants et aux adolescent⋅es un cadre propice à leur rétablissement, physique et moral.

1 Parmi les aspects à tenir en compte il y avait le rythme de vie de l’enfant, ainsi que les conseils du Docteur Carton à propos d’une alimentation saine.

Des prises de position décalées

Pour sa part, André Boulogne, sportif, joueur, héritier des mouvements de jeunesse, apporta la dimension des sports de plein air et surtout l'hédonisme du plaisir du corps en action. Avec une imagination débordante, il ajouta une dimension ludique contagieuse à toutes les activités.

Il n’est pas étonnant que leurs prises de position furent souvent décalées par rapport à celles de l’époque. C’est ainsi que l’importance accordée au jeu, au rythme de vie de l’enfant, à la réhabilitation des jeux de tradition enfantine, entre autres, faisaient partie de leurs préoccupations. C’est la raison pour laquelle, avec une grande curiosité intellectuelle, ils avaient exploré aussi d’autres champs de l’activité corporelle. Parmi eux, une série d’activités en « colonie de vacances » appelée  La cure de santé qui se terminait par une relaxation avant le repas.1

1 Avec les connaissances actuelles en physiologie certaines de leurs affirmations relèveraient du dogme. Pourtant, avec des techniques et des savoirs actuels, des approches ayant le même but sont utilisées autant dans les milieux éducatifs, que dans ceux du social ou paramédical.

Quelques années après, Jean Claude Marchal, jeune professeur d’EPS, adhérent aux idées défendues par la FSGT1 et fervent pratiquant des sports de plein-air, se joignit à leurs travaux. Avec enthousiasme, il conceptualisa les idées de ce groupe en s’appuyant sur sa formation d’enseignant. De plus, il se montra un rigoureux « traducteur » des travaux de Wallon et Piaget dans la pratique, dans l’action2 . Ceci lui permit, dans ses nombreux écrits, de faire des liens entre les diverses pratiques, les expérimentations sur le terrain, et la production de références bien ancrées dans de solides cadres théoriques. Son livre sur les jeux traditionnels est et sera toujours une référence, il est beaucoup plus qu’une simple compilation de jeux.3

1Fédération sportive et gymnique du travail. Très implantée dans la culture ouvrière de l’époque et qui a contribué largement à définir la notion de Sport populaire

2 A l’époque, leur contribution à l’évolution de la psychopédagogie a été considérable. « …et que les thèses psychologiques de Piaget et Wallon ont été choisies par les tenants par de l’Education Nouvelle comme faisant partie des fondements même de l’éducation. » « De leur apport il faut rappeler trois éléments fondamentaux, que l’on peut considérer comme des ACQUIS théoriques de l’éducation nouvelle : La valeur de l’enfance, l’activité, le milieu. Best F. (1979) Instructeurs Actualités N° 44.

3 Avec ses entrées symboliques qui nous renvoient à l’histoire de l’humanité : le voyage, la chasse, les épreuves initiatiques, l’animation, la bataille, la comédie.

Ce climat particulier séduit  un chercheur, Pierre Parlebas, professeur à l’INSEP, sociologue, auteur de plusieurs ouvrages qui ont profondément remodelé l’enseignement de l’EPS en France1 entre les années 70 et 80, avec entre autres, son concept de conduites motrices. Son analyse structurale, appliquée aux jeux et sports, éclaire au sujet des interrelations : collaboration-opposition, paradoxes, communication codée, psychomotricité et sociomotricité… On remarque dans ses travaux « l’importance accordée à la signification, au décodage, aux signes et leur interprétation… » « …la place de l’affectivité dans tous les développements marque l’intégration des« dimensions chaudes » de l’individu dans l’analyse de la conduite motrice » Collinet C. (2000,1922). En 1973, à son initiative, est organisé un colloque qui a fait date par la qualité de ses intervenants ainsi que par la richesse de sa production et qu’il est possible de consulter dans le hors-série de la revue VEN 1974 : « l’activité ludique dans le développement psychomoteur de l’enfant « 

1 Il est intéressant de parcourir l’ouvrage de Céline Collinet car elle présente aussi Le Boulch, la FSGT, l’Hébertisme…CollinetC.(2000) Les grands courants de l’Education Physique en France. PUF. Paris

2 CollinetC.(2000) Les grands courants de l’Education Physique en France. PUF. Paris

Vers 1994, Pierre Parlebas quitte ce collectif afin de fonder un nouveau groupe avec des chercheurs français et étrangers. Son nom : JPL Jeux et conduites motrices. Depuis, et jusqu’à maintenant, les deux groupes ont fonctionné en parallèle, chacun avec son objet d’étude.

De JVP à JVPS

Plus tard, l’arrivée de Claude Véron comme responsable national contribue à intégrer et formaliser des orientations, des projets et des pratiques. Sous son impulsion, l’ajout de la lettre « S » (JVPS) montre l’importance qu’il serait nécessaire d’accorder à la culture sportive, à l’époque très critiquée dans certains mouvements de jeunesse. Ensuite, ce groupe JVPS est enrichi par Jean Michel Perronnet, passionné, entre autres, par l’histoire des jeux de tradition enfantine ainsi que par le développement du jeu dans les cours de récréation et l’école primaire en général. Il a écrit plusieurs articles dans la revue EPS1 qui constituent toujours une référence pour les enseignant⋅es, les étudiant⋅es de carrières sociales ou des chercheur⋅es sur le jeu. 

Ouverture au compagnonnage

En parallèle, au fil des années, d’autres secteurs et groupes de réflexion, surtout sur les pratiques et sports de plein air, ont émergé, en permanente interaction et enrichissement réciproque, ce qui était un atout pour essaimer dans tous ces secteurs, surtout depuis l’arrivée de François Chobeaux, comme « permanent ». Par ailleurs, ce dernier apporte aussi une ouverture significative vers des champs, des pratiques et des publics différents, comme les relations avec les fédérations issues de l’Education populaire FSGT, FFME, FFGV1 et les institutions du secteur sanitaire et social et médico-social : il s’agissait d’identifier les pratiques éducatives intéressantes que ces institutions ou fédérations mettaient en place ; les analyser, parfois s’en inspirer, parfois tenter des partenariats.

C’était aussi faire reconnaître le mouvement CEMEA comme un interlocuteur original et digne d’intérêt. A maintes reprises, les Ceméa ont été invités pour animer des conférences ou colloques dans le secteur associatif ou celui des Offices Municipaux de Sport. François Chobeaux a réussi à rassembler des psychologues, des éducateurs spécialisés, des enseignants, impliqués dans des diverses disciplines sportives. Sous son impulsion, le colloque « l’escalade dans le secteur médico-social » réalisé à Chamonix en 1990, avait été une référence dans ces secteurs. Il faudra aussi ajouter le rôle joué par Philippe Segrestan, passionné des sports de plein air (escalade) et diffuseur de nos théories et pratiques dans le vaste champ de la formation permanente, la pédagogie des adultes et les formations d’animateurs et animatrices professionnelles. 

1 Fédération sportive et Gymnique du travail, Fédération française de la montagne et l’escalade, Fédération Française de Gymnastique Volontaire.

Alfredo Ferreruela, provenant du secteur de l’éducation spécialisée, de l’EPS en direction des personnes ayant des besoins spécifiques a intégré les expériences et connaissances du secteur social et médico-social aux pédagogies adaptées aux divers publics. Depuis 20 ans, il a introduit dans les stages « santé mentale », les cadres théoriques de la psychomotricité, le jeu et les activités corporelles pour des personnes et des groupes en difficulté mentale ou sociale, ainsi que des aspects de l’éducation à la santé. En parallèle, ces deux formateurs ayant remarqué que ces dernières années la diffusion des idées et pratiques en relation avec JVPS souffraient d’un déficit de transmission, ont adopté la méthode « bâton de pèlerin ». Elle consiste à participer et animer les WE de formation dans les Associations Territoriales ainsi que le conseil et l’accompagnement des équipes pour la mise en place des stages DEJEPS/BPJEPAPT. A cela s’ajoute depuis plus de 25 ans, une participation active dans les UEN, actuels Rencontres de l'Education Nouvelle, des journées d’études ou regroupements. 

Et maintenant ?

JVPS est un corps vivant et comme dans tout projet qui se déroule dans le temps, il faut savoir discerner ce qui doit être modifié, actualisé et ce qui constitue l’essence même de son existence, par conséquent immuable. Devant cette réalité sociale et sociétale, une posture claire et sans faille autour de l’unité de la personne est nécessaire. Le corps est en même temps source et enjeu de l’activité. Ceci renvoie, sur le plan des contenus et des méthodes à l’idée du corps comme médiateur d’émancipation et libre de pressions de type normatif, commercial ou de divers stéréotypes. Le groupe JVPS adhère au concept de corps propre, 1« …le corps propre, avec la notion de milieu exploitée par Wallon, avec la valorisation et l’analyse de l’activité, (Piaget-Wallon) avec l’importance de la parole (Freud), et avec l’idée de l’enfance comme étape capitale ayant sa spécificité : des idées clef de l’éducation nouvelle, des acquis.(Best. F 19812) C’est à travers l’exercice de la décision, du pouvoir d’agir, de la prise de risque, de la complexité et du dynamisme des interrelations que la personnalité peut se construire.

1Ponty M.(1945) Phénoménologie de la perception,

2 Instructeurs actualités N° 44. Pratiques pédagogiques de formation et systèmes de pensée pédagogiques philosophiques et politiques.