Développement des Ceméa et montée en puissance de l'activité

Publié le
Lecture ~10 minutes

Après la période de l’occupation et leur dissolution sous le Régime de Vichy (1er juin 1944), les Ceméa retrouvent des conditions plus favorables à leur développement. La création en 1948 d’une direction générale de la jeunesse et des sports leur permet d’obtenir les moyens matériels nécessaires à l’amplification de leur action.

Le boom de l’après-guerre et « les Trente glorieuses »

La fin de la guerre va entrainer un redémarrage très important des activités de toute nature dans le pays pour répondre rapidement aux besoins économiques, sanitaires, sociaux et éducatifs très dégradés par l’occupation et les destructions.

Des activités liées bien sûr à la reconstruction politique, institutionnelle et matérielle du pays mais aussi et cela va concerner directement les CEMEA, les activités à caractère éducatif, social et culturel.

Les CEMEA vont être dans un premier temps, particulièrement sollicités dans deux grands champs d’activités : la formation de moniteurs-trices de colonies de vacances qui était la raison de leur création et la formation des personnels éducatifs dans le champ de l’école.

Concernant le champ des vacances, une direction de l’éducation populaire et de la jeunesse confiée à Jean Guéhenno va voir le jour au sein de l’Education Nationale. Les CEMEA vont être agréés comme association d’éducation populaire (arrêté du 7 avril 1945) et habilités pour la formation des moniteurs-trices (circulaire du 7 juin 1945). La mise à disposition d’enseignant-es par le ministère de l’Education nationale va aussi aider à répondre aux multiples sollicitations (Cela va exister dès 1944 mais sera officialisé par une note de service du 27 juin 1951).

Beaucoup de municipalités progressistes - qui pour certaines vont hériter de domaines et de châteaux confisqués à des familles qui ont collaboré avec les occupants et le régime de Vichy - vont vouloir, après plusieurs années de privations proposer des vacances collectives à leurs enfants. C’est aussi le cas des comités d’entreprises nouvellement créés (ordonnance du 22 février 1945 et loi du 16 mai 1946) sous l’impulsion du programme du Conseil National de la Résistance. Ceux-ci vont avoir à gérer les œuvres sociales des entreprises et les colonies de vacances vont y prendre une place importante. Dans cet élan les besoins en moniteurs-trices et directeurs-trices vont être considérables et beaucoup de ces collectivités vont faire confiance aux CEMEA. Et cela va durer pendant les « Trente glorieuses » jusqu’en 1970/71.

La multiplication de formations est exponentielle

  • De 1945 à 1955, le nombre de stages et regroupements organisés annuellement passe de 120 à 551
  • le nombre de participant⋅es à ces divers évènements passe de 3 600 à 26 584.
  • En 1955, 324 stages reçoivent 15 458 stagiaires et en 1968, 600 stages réunissent près de 30 000 personnes...

L'accueil des enfants explose aussi

Concernant les enfants, en 1945, 350 000 sont partis en colonies de vacances. Trois ans plus tard, ils sont 880 000. En 1964, ils seront 1 316 461 et encore 1 436 457 en 1972 après quelques années de stagnation. Mais ces années seront l’apogée de cette épopée des vacances collectives populaires d’enfants et d’adolescent-es. On assistera par la suite à une baisse légère mais régulière de ce mode d’accueil en partie compensée par la montée en puissance des anciens patronages devenus centres de loisirs sans hébergement, moins lourds à organiser et surtout moins chers. C’est la fin des « Trente glorieuses », le premier choc pétrolier, la première crise économique depuis la guerre, la fin du plein emploi, la fin d’une époque et le début d’une autre.

Dans le champ de l'école

Concernant le champ de l’école les demandes de formation et les effectifs sont de moindre importance mais existent dès 1945. Cette année-là voit l’organisation du 1er stage de maitre-esses d’internat qui va durer jusqu’en 1958. Certaines années compteront, comme en 1947 jusqu’à 14 stages pour 709 stagiaires. En 1955 il est créé un certificat d’aptitude aux fonctions d’éducateurs-trices d’internat.

En 1946 le premier stage de normalien(ne)s (les maitre-esses en formation dans les écoles normales) voit le jour. Il s’agit de faire vivre aux futur(e)s instituteur-trices une expérience d’éducation populaire. Ces stages seront officialisés en 1949 et deviendront obligatoires.

Dans plusieurs régions, des formations pour les maitres-esses des classes de perfectionnement et des classes de transition, sont organisées à la demande des académies. Il en va de même pour les surveillant-es généraux-ales et pour les adjoint-es d’éducation.

Mais outre la formation des cadres pédagogiques et administratifs de l’école, les CEMEA ont aussi souhaité, au sortir de la guerre, mettre en pratique l’Education Nouvelle dans une école. Pas une école privée mais une simple école publique de quartier à Boulogne en région parisienne. Ce projet avait été élaboré en concertation avec l’Education Nationale. « La direction de l’enseignement de la Seine nous envoyait des cas difficiles et nous considérait bien comme « son » école expérimentale, qu’elle était heureuse de signaler aux étrangers de passage » (G. D Failly, M-A Niox-Château). Un certain nombre de normalien-nes y feront leur stage pratique. Cette école exista pendant neuf ans mais les tracasseries administratives diverses et variées mettront fin à l’engagement des personnels pédagogiques donc à cette expérience d’une autre logique d’école.

Durant 20 ans de nombreuses formations auront lieu en direction de l’école, comme pour les maitre-esses des classes de transition (1963), les adjoint-es d’éducation (1963) ou les étudiant-es des centres pédagogiques régionaux (1963) mais curieusement ce n’est qu’en 1970 que les CEMEA créent un secteur « Enseignement ».

A partir des années 70 les actions en direction de l’école se sont diversifiées, les formations continues pour les enseignant-es ont été de plus en plus difficiles à organiser et les rapports avec l’Education Nationale se sont complexifiés. L’éducation populaire n’est plus vraiment dans le logiciel technocratique et évaluateur qui devient dominant. Dans ce champ aussi c’est la fin des « Trente glorieuses ».

Dans le champ de la psychiatrie

Durant la guerre les établissements de santé, leurs soignants et leurs patients vont beaucoup souffrir. Mais c’est surtout dans les asiles psychiatriques que les conditions seront les plus épouvantables. 50 000 malades mentaux vont y mourir. De nombreux soignants, dont certains ont vécu l’univers de l’enfermement et du mépris des individus dans les camps de prisonniers et les camps de concentration ne supportent plus ce que sont les pavillons d’hospitalisation. Plusieurs médecins, sous l’impulsion de François Tosquelles, et de Lucien Bonnafé compagnon de route des CEMEA, vont créer le projet de la psychothérapie.

C’est dans ce contexte, en 1946 que Germaine Le Hénaff, ancienne directrice de maisons d’enfants pendant la guerre et récente permanente des CEMEA va rencontrer Georges Daumezon médecin chef à l’hôpital psychiatrique de Fleury les Aubrais. Après l’avoir questionné sur son travail le médecin lui demanda : « Pourquoi n’organiseriez-vous pas des stages pour les infirmiers psychiatriques ? ». « C’est à partir de cette rencontre…que s’est ouvert aux CEMEA le champ de la collaboration avec le secteur psychiatrique ». (G. Le Quillant »).

En 1949 le 1er stage pour les infirmier-es psychiatriques voit le jour.

Germaine Henaff épouse Louis Le Guillant psychiatre, aliéniste, lui-même militant des CEMEA.

Germaine et Louis Le Guillant, Georges Daumezon, Roger Gentis vont créer en 1954 la revue « Vie sociale et traitements » qui va avoir 1000 abonnés dès le 1er mois.

Les années 1957/58 vont avoir une grande importance pour le secteur psychiatrique et un peu pour les CEMEA qui vont participer à ce qu’on a appelé « le groupe de Sèvres ». En effet c’est à partir de rencontres de soignants militants du changement au sein de la psychiatrie publique, auxquelles participaient des membres des CEMEA, que s’est élaboré ce que l’on a appelé la psychiatrie de secteur qui a été une révolution au sein de la psychiatrie française. Et ces réflexions et propositions se sont concrétisées par la circulaire du 15 Mars 1960 qui a créé la sectorisation.

Les stages vont se développer et se diversifier : le 1er stage pour les infirmier-es des services d’enfants voit le jour en 1962 et en 1966, c’est le tour du stage pour les surveillant-es généraux-ales des hôpitaux psychiatriques. C’est à partir de 1962 que des stages et des activités relatives au secteur vont se décentraliser dans certaines délégations régionales des CEMEA. Des formations seront aussi organisées en Belgique en Suisse, en Italie, en Algérie.

En 1967 les CEMEA créaient en leur sein un secteur spécifique qui s’est appelé « Les équipes de santé mentale ».

Mais c’est seulement en 1973 qu’un diplôme d’infirmier-e du secteur psychiatrique voit le jour au niveau national. Il sera supprimé en 1992 pour faire place à un seul diplôme d’infirmier-e d’Etat. Les CEMEA continueront d’intervenir dans la formation continue des soignants du secteur sous de nouvelles formes.

Dans le champ du travail social

Pendant la guerre, un éducateur, Jean Pinaud dirige le bagne d’enfants de Montesson en région parisienne. Les conditions de vie sont très difficiles mais Jean essaye de les humaniser. Il découvre les CEMEA à travers un stage de moniteurs en 1943 et cela lui donne des idées pour la formation des éducateurs. En octobre 1943, inspiré des méthodes du stage il va créer la première école de formation d’éducateurs spécialisés.

En 1945 Germaine Le Henaff qui dirige « L’entraide française » va demander aux CEMEA, dont elle est membre, d’organiser le 1er stage pour le personnel des maisons d’enfants. D’autres suivront dans les années suivantes mais à la fin de l’année, G. Le Henaff quitte cette institution pour devenir salariée du mouvement au côté de G. De Failly.

A Ramonville près de Toulouse les CEMEA créent en 1950 l’association des enfants invalides avec Jean Lagarde, instituteur, éclaireur de France ami de d’André Lefevre, militant des CEMEA et créateur de l’ASEI (..)en Midi- Pyrénées.

En 1960 est organisé le 1er stage d’animateur-trices pour les colonies de vacances pour déficients physiques et dans un autre domaine un stage d’éducateur-trices chargés des activités dans les prisons. Trois ans plus tard les CEMEA mettent en place le 1er stage pour les enseignant-es préparant le certificat d’aptitude pour l’enfance inadaptée (CAEI). Cette même année 1963 l’association crée avec l’ANCE (Association nationale des communautés éducatives) une formation d’éducateur-trices spécialisé-es.

L’école d’éducateur-trices des CEMEA de Phalempin, à proximité de Lille dans le Nord est fondée en 1964. Elle déménagera à Arras en 1978.

En 1969 Jacques Ladsous va ouvrir l’école de Vaugrigneuse en région parisienne.

(A compléter par les dates de création des autres écoles quand on les retrouvera : Vic le comte, Bruguières et Carnon).

Un décret du 9 mars 1970 institue un certificat d’aptitude aux fonctions de moniteurs-éducateurs que les écoles des CEMEA vont mettre en œuvre. Cette même année les cinq écoles vont être rattachées à l’association nationale. Elles voient en 1975 leurs agréments pour la formation des éducateur-trices spécialisé-es renouvelés par leur ministère de tutelle.

Mais des différences politiques et pédagogiques se font jour entre les écoles et le mouvement. Un conflit éclatera et à l’assemblée générale de 1977 il est décidé à une très large majorité de l’exclusion de celles-ci. Trois quitteront les CEMEA pour devenir des associations indépendantes. Deux décideront malgré tout de rester au sein du mouvement. Néanmoins une fédération des écoles sera créée où chacune siégera.

 

 

L'activité au coeur de l'acte éducatif

Dès leur création, en cohérence avec les idées et pratiques de l’Education Nouvelle, les CEMEA ont placé les activités au centre de l’acte éducatif et de leurs actions de formation. Les connaissances et les compétences s’acquièrent nécessairement grâce à une relation constante entre les activités intellectuelles et les activités physiques, manuelles et artistiques. Il est donc normal de voir, au sortir de la guerre, la mise en œuvre de nombreux stages thématiques centrés sur les activités.

Dès 1945 William Lemit crée le premier stage « Chant et danse » qui va rapidement se démultiplier pour former les instructeur-trices qui encadrent les stages de moniteur-trices. Toujours en 1945, en restant dans les activités musicales, Henriette Goldenbaum qui était déjà dans les équipes de stages durant la guerre sous un faux nom, met en place un stage « Chant et éducation musicale ». Encore la même année le stage « Pipeaux de bambou » voit le jour et va trouver sa place dans la formation initiale des institutrices et instituteurs. C’est aussi en 1945 que le premier stage de marionnettes est organisé.

L’année suivante, en 1946 les stages d’étude du milieu, d’étude de la nature, de jeux dramatiques, de travaux manuels de plein air, d’éducation physique se mettent en place et sont proposés tant aux instructeur-trices du mouvement qu’à des publics extérieurs.

En 1947 les militant-es des CEMEA impliqués dans les activités de chant constatent que les personnes inscrites aux stages ont déjà pratiquement toutes une pratique de l’activité. Ils décident donc, pour toucher un autre public de créer le premier stage non-chanteur-teuses.

Des militants des CEMEA impliqués dans les activités dramatiques se lancent, en 1949 dans la création du Théâtre de la Clairière qui sera, deux ans plus tard, agréé par le ministère de l’Education Nationale. Dix ans plus tard, en 1959 l’intérêt du mouvement pour les activités dramatiques va prendre une nouvelle dimension quand Jean Vilar, créateur et directeur du festival d’Avignon va rencontrer Henri Laborde Délégué général des CEMEA et lui demander d’inventer un accueil et un accompagnement pour un public jeune au sein du festival. Ils vont ensemble mettre en place les rencontres internationales de jeunes qui vont rapidement se développer. En 1967 le festival et les CEMEA vont créer, avec la ville d’Avignon l’association « Centres de jeunes et de séjours… » qui vont élargir leur public aux adultes.

A cette période plusieurs stages de découverte de la France sont aussi lancés et soutenus par le secrétariat d’Etat à la jeunesse et aux sports. Les CEMEA organisent le premier en 1959 et d’autres suivront.

A partir de 1961 Gerda Alexander - une éducatrice allemande qui a passé une grande partie de sa vie au Danemark et a développé une pratique d’hygiène corporelle originale - va organiser des stages d’eutonie pour les CEMEA. Ces stages vont avoir un écho assez important au sein du mouvement.

Le premier stage d’astronomie et de météorologie va voir le jour en 1962 et en 1967, Robert Lelarge lance le premier stage d’initiation au dessin, à la peinture et au modelage dont les méthodes vont prendre une place importante dans les stages de formation d’animateur-trices.

Les publications

Parallèlement aux actions de formation, la diffusion des idées, des savoirs et des savoir-faire va aussi passer par la création de publications.

Le 21 avril 1946 la revue « Vers l’Education Nouvelle » (VEN) est créée, dès le 1er mai elle compte déjà 1500 abonnés et 3000 à la fin de l’année. Cette même année les Editions du Scarabée sont fondées. Les abonnements à VEN se développent : 4200 en 1947, 5094 en 1949.

« Ensemble » le premier bulletin destiné aux instructeurs - les membres actifs du mouvement - est publié en 1950. Il existera de 1950 à 1954.

En décembre 1954 c’est une deuxième revue, « Vie sociale et traitements » qui voit le jour. Elle est destinée plus spécifiquement aux travailleurs sociaux et aux personnels des hôpitaux psychiatriques. Elle compte 1000 abonnés en un mois.

Le centième numéro de VEN est publié en 1956 et l’année suivante une nouvelle revue pour les membres actifs, « Instructeurs » prend la succession d’ « Ensemble » à l’occasion du congrès de Caen. L’année suivante est éditée la brochure « 1937-1957 : quelques témoignages sur l’action des CEMEA ».

En 1961 VEN est vendu à 35000 exemplaires et les CEMEA créent une nouvelle revue, « Le bulletin des directeurs de CVL » pour les équipes de direction du secteur vacances-loisirs.

En 1966 les éditions du Scarabée fonde la collection « La bibliothèque de l’infirmier » dirigée par le psychiatre et militant des CEMEA Roger Gentis.

Durant les événements de mai 1968 est publié un numéro spécial d’ « Instructeur » intitulé : « CEMEA : Mai 1968 ».

En 1971 au congrès d’Orléans « A l’issue des travaux, et pour la première fois, les CEMEA expriment publiquement leurs orientations politiques, devant environ 1100 instructeurs et invités, et en présence de M. Comiti, alors ministre de la Jeunesse et des Sports ». (Jean Marie Michel. Passeurs d’avenir. Actes Sud 1996).

 

L'Histoire des différents champs d'action des Ceméa