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Confions un secret aux lecteurs de VST :
depuis un an que nous préparons ce
dossier, entre nous son titre est « Les vieux
cons ». Cela a même failli en être le titre
final, officiel, et puis non. Trop ambigu,
trop facilement provocateur, alors bienvenue
dans « Une histoire d’héritage… ».
Pourquoi « les vieux cons » ? Parce que
les jeunes de notre groupe ont interpellé
les vieux en leur disant que les jeunes professionnels
n’ont pas besoin des discours
de vieux cons qui ressassent le passé et
leurs guerres, mais qu’ils ont besoin de
comprendre avec les vieux ce qui s’est
passé, pourquoi, comment, dans quelles
conditions, et de réfléchir avec eux à ce
qu’il en reste, ce qui en est transformé,
parfois massacré, parfois enrichi, et à ce
qu’il y a à en faire.
Est venue alors l’idée d’héritage, qui ne va
pas sans un inventaire qui va servir à savoir
ce qu’il y a vraiment dedans, l’origine et
la valeur de chaque chose, avec à la fin de
difficiles décisions car on ne gardera pas
tout en l’état. Jeter, conserver, restaurer,
transformer… la vie continue.
Est revenue en boucle, aussi, cette fameuse
résistance qui organise aujourd’hui bien
des postures publiques et professionnelles.
Même question : résister pour n e rien
changer ? Résister en tenant sur des valeurs,
des principes, et alors lesquels ?
Troisième axe de réflexion dans notre préparation,
l’idée que chaque période sociohis
torique , cul turel le , est le moment
d’innovations, de transformations, de mutations.
Alors, en ce qui concerne la période
actuelle, que se passe-t-il ? Que va-t-il se
passer à partir à la fois des acquis et des
transformations ? Le travail des contradictions
et des dépassements va-t-il l’emporter sur
les excès gestionnaires et comportementalistes
? De nouveaux îlots d’invention sont-ils
en développement à partir de l’existant ?
Sur quelles bases tenir ?
Nous ouvrons ce dossier par des présentations
de pratiques qui sont situées dans
le temps, avec trois textes sous-tendus
par le devenir de celles-ci. Alain Bozza
raconte la construction théorique et pratique
d’un dispositif d’accueil et de soin pour
psychotiques chronicisés et rappelle en
conclusion qu’au fond, hier comme demain,
tout est une question de citoyenneté
reconnue, ou pas, aux patients. Henri
Santiago-Sanz présente l’action et les
soucis d’un centre de santé communautaire,
et suggère clairement qu’il y a là un avenir
pour des pratiques collectives du social et
de la santé. Jean-Luc Marchal évoque la
responsabilité des centres de formation,
et des formateurs, dans cette époque
compliquée, en mettant l’accent sur ce
qui peut permettre à de nouveaux professionnels
d’être actifs : sens critique, retour
permanent sur les réalités des terrains et
des usagers, et aussi filiations et histoire.
Suivent trois contributions du point de
vue des dispositifs publics de la psychiatrie.
Dans une grande fresque historique, Vassilis
Kapsambelis interroge les non-dits de la
psychiatrie de secteur depuis sa création et montre qu’il y a là autant d’enjeux
pour l’avenir. Alain Gouiffès se fait lui
aussi historien pour raconter la naissance
et le développement d’une des premières
équipes mobiles de psychiatrie-précarité,
et laisse ouverte des interrogations majeures
sur leur avenir et sur l’avenir du social
dans l’attention apportée aux publics précarisés.
Blandine Ponet et Coline Fauconnier,
dans un dialogue imaginaire, font ensuite
vivre les acquis mais également les doutes
d’avenir des soignants en psychiatrie.
Puis, articulant psychiatrie et handicap,
Claude Deutsch fait l’histoire des mouvements
de patients, malades, usagers… au
filtre de la naissance et du développement
de l’association Advocacy-France. Pour lui,
il est clair que le mouvement d’autonomisation
de ces personnes, de leur constitution
en tant que sujet collectif, est d’abord et
avant tout une question de droits de
l’homme en perpétuelle nécessité de
défense et de promotion.
Droits de l’homme et citoyenneté, encore,
avec Franck Chaumon et son approche
radicalement politique des enfermements
et des contentions. Car si Pinel a montré
que la libération des aliénés était possible,
il reste à regagner et à préserver cet acquis
essentiel, non pas en le travaillant techniquement,
mais en l’inscrivant dans un
projet politique partagé d’humanité. « La
psychiatrie doit être faite et défaite par
tous », disait un des grands maîtres. Cela
reste d’actualité.
Nous terminons ce dossier avec trois textes
qui demandent comment il est possible
de nos jours d’être inspecteur du travail,
infirmière en psychiatrie, ou tout simplement
humaniste. Deux inspecteurs du travail,
qui ont souhaité garder l’anonymat, se
livrent à leur tour à l’histoire de leur profession
et au repérage de ses difficultés.
Ils en concluent que l’avenir de l’inspection,
du Code et de la protection du travail est
surtout l’affaire de tous. Puis Anne-Marie
Leyreloup montre comment il est de plus
en plus difficile de bien faire son travail en
psychiatrie. Ce texte, écrit il y a dix ans,
était terriblement prémonitoire. Sa conclusion
reste toujours aussi dynamique :
l’avenir nous appartient !
Enfin, nous laissons la conclusion à Jacques
Ladsous. Homme des combats d’hier et
d’aujourd’hui, il nous appelle à poursuivre,
à ne rien lâcher, avec comme guides l’humanisme,
l’humanité, l’engagement.
En refermant ce dossier, qui porte de fait
sur la responsabilité professionnelle individuelle
articulée à la responsabilité
citoyenne collective, souvenons-nous de
l’affirmation de Jean Jaurès : entretenir la
mémoire, ce n’est pas conserver des
cendres, c’est souffler sur les braises.
VST