L’environnement social et éducatif influence le regard que portent les enfants
sur ce qu’ils mangent, mais également sur ce qu’ils doivent dire à propos de l’alimentation.
Voir le sommaire et commander le numéro
En préambule à une activité sur l’alimentation,
je demandai à des enfants de 7 à 9 ans de me dire
des mots qui évoquaient pour eux le fait de manger.
Je m’attendais à entendre citer des plats ou
des gâteaux qu’ils appréciaient, mais quelle ne fut
pas ma surprise d’entendre immédiatement une série
de slogans d’interdiction : ne pas manger trop sucré,
ne pas manger trop salé, ne pas manger trop gras,
ne pas boire de boissons sucrées… Leurs premiers
mots furent « ne pas », comme s’il fallait se méfier
en première intention de la nourriture. Bien que
je suggérai qu’ils pouvaient aussi citer des choses
qu’ils aimaient bien manger, l’inventaire se poursuivit
sur une prophylaxie concernant cette fois les « bons »
comportements alimentaires : manger cinq fruits et
légumes par jour… Je leur proposai de continuer cet
inventaire sur l’alimentation, mais en citant uniquement
quelque chose qu’ils trouvaient bon et aimaient
bien manger. J’eus alors droit à une avalanche
de hamburgers, de frites, de sodas, de pizzas… et
d’aliments trop gras, trop salés et trop sucrés en tout
genre. Une étonnante dichotomie, mise en lumière
par cette situation... Des enfants coincés entre une
réalité et ce qu’il est politiquement correct d’affirmer.
PERCEPTION SOUS INFLUENCE
Le cadre dans lequel ces questions ont été posées
a certainement influé en partie sur leurs réponses.
Les enfants supposant une intention éducative de
l’adulte et cherchant à s’y conformer. Si un enseignant
ou un animateur, leur parle d’alimentation,
ils le voient venir. Il est à prévoir qu’à terme, il en
arrivera à des messages de prévention. Autant
conclure tout de suite… Ce qui est signe d’un certain
pragmatisme.
Mais je pense que cette situation dépasse
une simple cause d’attendu supposé. Elle amène
à s’interroger sur la manière dont la société influe
dans la perception qu’ont les enfants de l’alimentation
et sur leur éducation en matière de goût
et de comportement. Entre une réalité sociale
qui les incite à consommer certains aliments et
un discours officiel dénigrant voire diabolisant
ce type d’alimentation, les enfants font le grand
écart. Il est bien sûr toujours possible de composer
avec ce choix cornélien en prononçant très vite
la formule magique :
« pratikéuneactivitéfisiziquerégulièreévitédegrignotéentrelérepa… »
avant d’attaquer
sa portion de frites, mais la fracture reste là.
HYGIÉNISME VERSUS HÉDONISME
« Vous aimez bien, tout ce qui est bon ? … C’est
très mauvais ! » Cette réplique d’un célèbre film
de Gérard Oury, pourrait s’appliquer à la situation
à laquelle sont confrontés actuellement
les enfants. Sur cette même logique, ils se
construisent avec une morale hygiéniste s’opposant
à un comportement hédoniste. Je trouve
inquiétant qu’à huit ans la première chose
qui vienne à l’esprit lorsque l’on évoque le fait
de manger commence par : « ne pas… » Mais
je trouve également inquiétant que les premiers
aliments cités spontanément lorsqu’ils évoquent
ce qu’ils aiment manger soient issus d’un agroalimentaire
industriel ou assimilé. Les gâteaux,
crêpes, tartes, grillades, gratins ou autres faits
maison… n’ont pas été au rendez-vous. Je pense
que tout cela doit nous interroger sur l’éducation
au goût et à l’alimentation. Que l’on soit parents,
animateurs, enseignants, gestionnaires de restauration
collective… que proposons-nous aux
enfants en termes de perception de l’alimentation
et de découverte alimentaire ? Et quelle
cohérence, dans le discours et dans les actes,
entre plaisir, nécessité, praticité, santé, sécurité ?
Relativiser la nourriture utilitaire et ses exhausteurs
de goût ne se fait pas avec des discours
moralisateurs, dans lesquels la notion ambiguë
de « bon » est manipulée par les adultes, mais
en prenant le temps. Le temps de manger,
de mettre en valeur la nourriture et la relation,
de faire découvrir, de chercher des recettes
de plats, d’apprendre à cuisiner…
À vos fourchettes, citoyens !