Editorial de la revue Vie Social et Traitement n° 134 " Les Collectifs au secours du social "
Les exigences de l’éthique ne sont pas à géométrie variable
François Chobeaux

« Tu la prends en stage ma fille, ma copine, son mec, mon beau-frère qui
a déjà été licencié trois fois pour incompétence, dis t’as pas un petit cdd
car il-elle est en difficulté financière ? »
Dans le temps, on disait « le piston ». On a tous été pris là-dedans, sollicités
pour nos mômes, nos proches, nos potes, la cousine bancale de la
belle-soeur… Parfois, on l’a fait nous-mêmes. Et plus on a de responsabilités,
de pouvoir, de réseaux, plus ça vient et plus ça marche.

On a résisté comment, pour autant qu’on ait voulu résister ? Ou on a
répondu quoi pour aider, arranger, soutenir, car c’est normal faut s’entraider,
non ?

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Alors, voici les petits arrangements de chacun, les petits copinages avec
allers-retours. Et ça c’est chez nous, dans les associations, dans le social
avec ses magnifiques déclarations déontologiques à propos des responsabilités
envers les usagers, zut on n’y a rien prévu sur nos clientélismes
internes. Tant mieux, je vais pouvoir prendre mon fils en stage (rémunéré)
ou proposer un cdd à ma maîtresse puisque ce n’est pas interdit.
Montons d’un cran, de chacun et chacune d’entre nous à notre secteur
professionnel. Combien d’associations où des groupes amicaux et familiaux
se partagent d’année en année les postes de direction et d’administration
 ? Combien d’enfants, de compagnes, d’amis qui ont eu des
postes, cdd ou cdi, plutôt que d’autres personnes probablement tout
aussi compétentes mais inconnues ? Combien de petits ou de gros
profits privés, personnels, faits sur des biens et des moyens associatifs ?
L’actualité montre régulièrement l’immoralité ravageuse de certains décideurs
politiques visiblement en manque d’éthique. Mépris de la justice,
oubli du fisc, avantages indus, dissimulations, détournements, lectures
opportunistes de règles floues… Mais ce n’est pas, comme le prétendent
les démagogues populistes, eux contre nous, dégagez et basta. Ce tour-là
on nous l’a déjà joué le 6 février 1934 quand les ligues d’extrême droite
ont pris d’assaut l’Assemblée nationale avec les mêmes mots d’ordre
de nettoyage. Attention, danger ! Car, redisons-le, il faut aussi regarder
chez nous, dans l’associatif, la mutualité, le social.

acteurs politiques, mais aussi sur l’éthique dans la vie associative, dans
l’action sociale, dans la santé. Nous disons bien l’éthique, une éthique
collective, pas la morale, ce comportement dicté par des principes parfois
bien fallacieux. Et soyons exigeants envers nous-mêmes, premier niveau
de l’éthique. Pas d’illusions, ni d’angélisme : chacun d’entre nous n’est
pas parfait et ne le sera probablement jamais, là n’est pas l’objectif, nous
ne prêchons pas la morale. Il s’agit déjà, pas si simplement, de reconnaître
ce que l’on fait en tant que sujet, avec notre lot d’ambivalences, d’ambiguïtés,
de dénis, et de tenter de faire « ce qui doit être », comme l’a écrit
Aristote. C’est cette exigence de soi, envers soi, qui, partant de l’individu
pour aller au professionnel, partant de l’action personnelle pour aller à
ceux et celles qui exercent des responsabilités confiées par d’autres, nous
rendra plus forts en tant qu’individus et en tant qu’organisations.
C’est cette exigence en acte, à tous niveaux, qui gardera sens à la notion
de justice sociale et peut contribuer à donner un avenir à la démocratie.

François Chobeaux
avec les contributions de Dominique Besnard, Nahima Laieb, Jean-Pierre
Martin, Christine Pieuchot, David Ryboloviecz, Joseph Rouzel, Henri Santiago-
Sanz, Valérian Sarreau

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