L'origine de 1937 à 1945

Publié le , mis à jour le
Lecture ~9 minutes

C’est dans l’euphorie de la victoire du Front Populaire, des espoirs, des projets et des besoins nouveaux que la période laissait entrevoir, que le mouvement CEMEA, Centres d'entrainement des méthodes d'éducation active, voit le jour. Mais la grande histoire et les désastres de la guerre vont immanquablement marquer les premières années de cette existence.

Penser pédagogie même pour les colos!

Si, en 1936, les vacances des adultes sont une préoccupation nationale entièrement nouvelle avec l’avènement des congés payés et de la semaine de 40 heures suite à la victoire du Front populaire, le souci de développer les départs en vacances des enfants est, quant à lui, plus ancien.

Ainsi, en 1900, on comptait environ 14 000 enfants en colonies de vacances pour atteindre les 420 000 en 1936.  La pression était forte pour une amplification de ces séjours. Les colonies dépendaient alors du Ministère de la Santé et les préoccupations pédagogiques y restaient le plus souvent absentes.

Plusieurs personnalités prennent alors conscience de la nécessité d’une formation des cadres. Gisèle de Failly, militante de l’Éducation nouvelle, agissant au sein de L’Hygiène par l’exemple (HEP) en fait partie.  Persuadée que la réussite d’un séjour de colonie de vacances dépend avant tout de la compétence de son personnel, elle lance l’idée d’entreprendre la formation de l’encadrement. 

Gisèle de Failly impliquée dans l’association « L’hygiène par l’exemple » (HPE) se voit confier l’organisation de « maisons de campagne des écoliers » pour des enfants urbains. Elle constate à cette occasion le manque de compétences des personnes qu’elle embauche pour encadrer les enfants. Elle rencontre en décembre 1936 André Lefevre, commissaire national des « Eclaireurs de France (EDF) » et ensemble ils vont mettre sur pied une formation qui s’appuie sur les valeurs de l’Education Nouvelle qu’elle a découverte durant ses années de formation et l’expérience et les pratiques du scoutisme laïque.

Le premier centre d’entraînement pour la formation des personnels des colonies de vacances et des maisons de campagne des écoliers est en gestation.

Pendant l’été 1937, deux stages vont être organisés, encadrés par André Lefèvre et Gisèle de Failly avec quelques personnes de l’HPE, quelques représentant⋅es de l’administration de l’Education Nationale et une majorité d’instructeur⋅rices des EDF. Le premier a lieu à Beaurecueil à côté d’Aix en Provence et de la montagne Sainte Victoire et est l’acte fondateur des CEMEA. La formation ne s’appelle pas encore un stage mais un centre d’entraînement pour la formation des personnels des colonies de vacances et des maisons de campagne des écoliers.

Ce projet va être facilité par la création en juin 1936 d’un sous-secrétariat d’État aux Loisirs, rattaché au Ministère de la Santé et confié à Léo Lagrange. Celui-ci apportera un soutien actif à cette initiative.

Déclaration en préfecture et développement des formations

Le 12 décembre 1938, l’association est déclarée à la préfecture de police sous le même nom que la formation de Beaurecueil: centre d’entraînement pour la formation des personnels des colonies de vacances et des maisons de campagne des écoliers. D’ailleurs, cette dénomination double existera pendant plusieurs années : parfois, elle nommera l’action de formation et d’autres fois, l’association elle-même.

Durant l’année 1938, 4 stages de moniteur⋅rices seront organisés à Beaurecueil et à Breteil sur Iton comme l’année précédente mais aussi à Andernos en Gironde et à Lyon.

En 1939 le premier stage de directeur⋅rice se déroulera à Andernos et 11 stages de moniteur⋅rices auront lieu dont 6 à la demande de la ville de Paris.

 

Fin de l'euphorie en 1939

L’euphorie de 1936 tourne vite court. Le coup d’État de Franco contre la République espagnole vient de réussir avec la fin de la Guerre d'Espagne et la victoire des Franquistes. L'Europe se dirige vers la deuxième guerre mondiale qui débute le 1er septembre 1939 par l’agression de l’Allemagne contre la Pologne. Quelques jours avant, le 23 août 1939, le pacte germano-soviétique a été signé entre Hitler et Staline qui se partagent ce pays. Libérée sur son flan est, l’armée allemande continue sa progression en Europe et envahit la France. L’armée française ne peut résister longtemps et c’est l’exode. Devant cette situation, Paul Reynaud, président du conseil, appelle le maréchal Pétain au gouvernement le 17 mai 1940. Celui-ci considère que la guerre est perdue et en rend responsable le régime républicain. Le 16 Juin 1940, Pétain devient président du conseil. Le lendemain, il appelle à cesser les combats et le 22 juin, il signe l’armistice avec l’Allemagne. Pétain est encore auréolé du prestige de la victoire de 1918 et beaucoup de françaises et de français, abasourdis et résignés devant la débâcle, considèrent cela comme un soulagement. La France est divisée en deux: la zone occupée et la zone non occupée, souvent nommée la zone libre.

Pétain va rapidement montrer son vrai visage. Le parlement lui vote les pleins pouvoirs dès le 10 juillet et il s’octroie illégalement le titre de chef de l’Etat français dès le lendemain. Entre août et octobre, il abolit les institutions républicaines et les libertés fondamentales, dissout les syndicats et les partis politiques. Le Parti Communiste Français (PCF) lui, avait déjà été mis hors la loi en 1939. En effet, il avait approuvé la signature du pacte germano-soviétique et était considéré par le gouvernement français comme allié de l’Allemagne. Puis, les 3 et 4 octobre 1940, les premières lois à l’encontre des juifs sont promulguées.

Les chantiers de la jeunesse: chantiers d'endoctrinement.

Pour Pétain et son gouvernement, la question de la jeunesse est très rapidement centrale car la convention d’armistice ordonne la démobilisation générale et il faut faire quelque chose de tous ces jeunes. Mais aussi et surtout, la révolution nationale chère à Pétain et à ses alliés nécessite l’encadrement et l’endoctrinement de la jeunesse. Pour cela le gouvernement va créer le 30 juillet 1940 les chantiers de la jeunesse ainsi qu’une direction de la jeunesse et un secrétariat général à la jeunesse en septembre 1940. Les chantiers deviennent une institution de l’État par la loi du 18 janvier 1941. Chaque citoyen français de 20 ans a l’obligation de faire un stage de huit mois dans les chantiers. Ceux-ci s’apparentent au service national, s’inspirent d’organisations éducatives de type « scout » mais sont d’abord une entreprise d’encadrement idéologique. La grande majorité de l’encadrement est constituée de militaires démobilisés.

Mais les chantiers de la jeunesse n’existeront que dans la zone non occupée. Dans la zone occupée les autorités allemandes verront d’un mauvais œil ces regroupements de très nombreux jeunes et les interdiront.

La création des chantiers, dans la zone non occupée va bien sûr gêner les activités des associations de jeunesse existantes, parfois même contribuer à en interdire certaines manifestations.

Dans la zone occupée la plupart des organisations de jeunesse sont étroitement surveillées, certains mouvements qui regroupent directement des jeunes sont interdits, d’autres sont tolérés.

Dans les deux zones par contre les organisations de jeunesse proches du parti communiste et les mouvements de jeunesse juifs sont strictement interdits.

 

Création d'écoles de cadre pour le "redressement morale et intellectuel » des élites

Parallèlement aux chantiers, le régime de Vichy va créer une soixantaine d’écoles de cadres, tant nationales que régionales avec le même objectif d’effectuer « le redressement morale et intellectuel » des élites françaises et en particulier de former de nouveaux chefs capables de diriger les chantiers de la jeunesse. L’école d’Uriage est sans doute la plus connue, en particulier de par la notoriété future de ses encadrants. On y trouve Paul Henri Chombart de Lauwe, Emmanuel Mounier, Hubert Beuve Méry, Joffre Dumazedier, Benigno Cacerès , Jean Marie Domenach...Mais bien d’autres voient le jour comme l’école nationale de Sillery à Savigny-sur-Orge en zone occupée ou le centre de formation de cadres féminins de la jeunesse d’ Ecully dans la banlieue lyonnaise. L’école des cadres de Marly le Roi (le futur INJEP) se spécialisera dans la formation des chefs de centres ruraux et des cadres des colonies de vacances.

Si à leurs créations ces écoles sont ouvertes pour mettre en œuvre les objectifs idéologiques du pétainisme, une partie d’entre elles va progressivement s’en éloigner. Certaines deviendront des centres de résistance intellectuelle et même des foyers de résistance réelle. Ceux-là seront fermés. C’est le cas de l’école d’Uriage fermée le 1er janvier 1943 et remplacée le 11 fevrier par l’école nationale de la milice.

En 1940, dans le contexte dramatique de la débâcle et de la révolution nationale, des militant⋅es des centres d’entrainement vont essayer néanmoins de continuer leur travail d’éducation et de formation. Les centres sont une toute petite organisation et peu de stages sont organisés en 1940 (6) et en 1941 (2) dans la zone occupée. De plus les militants EDF qui les ont co-fondés avec Gisèle de Failly doivent aussi s’occuper de la survie de leur propre mouvement. C’est sous la coupe du ministère de l’instruction publique et non du secrétariat général à la jeunesse que ces stages sont organisés. Melle Géraud, vice-présidente des centres d’entrainement, qui était du premier stage, y est inspectrice générale. C’est cette année 1941, dans un Paris occupé, que les centres d’entraînement déménagent leur siège social au 11 de la rue Huyghens.

L'entrée en résistance

Le 22 juin 1941, l’Allemagne envahit l’Union Soviétique; beaucoup de militant⋅es communistes jusque là dans l’expectative à cause du pacte germano-soviétique, vont rentrer dans la clandestinité et la résistance.

En 1942, 18 stages peuvent être organisés dont 2 de directeur⋅rices tant dans la zone occupée que non occupée. Sur une liste d’instructeur⋅rices datant du 10 mars 1942, on retrouve des noms qui ont marqué l’histoire des CEMEA: Melle Géraud, inspectrice générale; Gisèle de Failly bien sûr; Melle Levasseur, directrice de la maison pour tous de la rue Mouffetard, Me Dejean, avocat à la cour qui trouvera la mort au camp de Mauthausen où il avait été déporté. On y trouve aussi Melle Goldier qui est en fait Henriette Goldenbaum et qui vivait dans la clandestinité sous un faux nom mais encadrait néanmoins des stages.

Le 11 novembre 1942 les allemands envahissent la zone non occupée et cela va de nouveau modifier la situation de nombreux militant⋅es surtout dans cette zone.

Au sein des chantiers de la jeunesse, si la grande majorité des chefs restent pétainistes, il n’en va pas de même chez les cadres intermédiaires et surtout chez les jeunes qui supportent de moins en moins les situations de vie dégradées, les travaux pénibles et l’embrigadement. L’instauration du Service du travail obligatoire (STO) en Allemagne à partir de février 1943 et la promotion qu’en font les responsables des chantiers va encore plus développer un sentiment anti-vichyste, anti-allemand, anti-chantiers et va pousser à la désertion des camps et parfois à l’entrée dans les maquis.

 

1943: « Les centres d’entraînement aux méthodes de pédagogie active »

L'année 1943 l’association change de nom pour devenir « Les centres d’entraînement aux méthodes de pédagogie active » et déménage 66 rue de la Chaussée-d’Antin. 9 stages sont organisés dont 2 stages directeur⋅rices et le premier stage d’instructeur⋅rices toujours sous l’égide du ministère de l’instruction publique. Une coordination des programmes et des contenus se met en place entre les centres d’entraînement animés par Gisèle de Failly en zone nord et l’association « Education et santé » qu’animait Maurice Rouchy, militant EDF, directeur de l’école des cadres de Chamarges dans le Diois en zone sud. Un⋅e représentant⋅e de chaque association participait aux réunions importantes de l’autre. Maurice Rouchy accueillit un temps à Chamarges comme conseiller pédagogique, Joffre Dumazedier qui venait de l’école des cadres d’Uriage, fermée en 1943. Cette école de Chamarges, devenu PC de la résistance après le débarquement de 1944, fût incendiée par les allemands lors des affrontements du Vercors. Maurice  Rouchy découvrira avec d’autres résistant⋅es le massacre du village de Vassieux. Il deviendra, quelques années plus tard permanent des CEMEA en charges du "secteur adolescents". C’est lui qui créa les « Marabout », ces grandes tentes bleues qui peuplèrent pendant longtemps les centres de vacances. Concernant la coordination des programmes des stages, un travail similaire sera entrepris entre les différentes délégations territoriales qui sont au nombre de 8 (Ile de France, Aquitaine, Bretagne, Centre, Est, Normandie, Nord, Poitou). 

C’est aussi en 1943 qu’est créée la première carte d’adhérent⋅es de l’association.

1944, dissolution puis naissance des Centres d'entrainement aux méthodes d'éducation active

Dans "les Ceméa, qu'est-ce que c'est?", Denis Bordat, délégué général des Ceméa, dit en 1944 : « Depuis un an, nous nous appelons dans nos dépliants « Service des centres d’entraînement aux méthodes de pédagogie active » mais légalement cette nouvelle association se constitue à l’assemblée générale du 7 février 1944 ». L' association devra se dissoudre le 21 mai sous la pression de la milice.

Quelques mois plus tard, Henri Laborde écrivait dans le bulletin intérieur de la région parisienne : « ...en mai 1944, un acte d’autorité frappait notre organisation coupable de sympathie à des idées d’indépendance morale et de liberté politique. En réalité ...les Centres ont affirmé une unité de doctrine et de méthode qui, dans la contrainte des temps difficiles qu’ils ont vécus, a fait, autour d’eux l’union des milliers d’éducateur⋅rices et de jeunes ».

Entre temps, la libération avait eu lieu et le 16 septembre 1944, l’association pouvait être recréée par une nouvelle assemblée générale constitutive. La dénomination « Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active » (CEMEA) était actée, Henri Laborde en devenait délégué général et Gisèle de Failly, directrice. André Lefèvre était nommé Président fondateur. Le siège social de cette nouvelle association se situait 6 rue Anatole de la Forges à Paris.

Regard de Gisèle de Failly sur ces années

Dans un texte d’octobre 1944, Gisèle de Failly revenait sur cette cruelle période. Elle écrivait :

« Jusqu’à présent, tant à Paris qu’en province, 116 stages ont fonctionné et ont reçu 5429 stagiaires, jeunes gens et jeunes filles, hommes et femmes de tout âge, en vue de les préparer à être des moniteur⋅rices et des directeur⋅rices de colonies de vacances. Sans rien perdre de leur idéal, sans faire la moindre concession au régime, les Centres d’entraînement ont vécu pendant l’occupation, se faisant ignorer des pouvoirs publics, évitant les visites officielles, poursuivant une tâche d’éducation difficile, mais attachante entre toutes. Condamnés par la milice pour leur esprit de résistance en mai 1944, ils ont été amenés à se dissoudre eux-mêmes. L’association vient de se reconstituer sous le patronage du ministère de l’Education Nationale...Aussi notre groupement a été un îlot de sécurité dans la tempête, et la jeunesse le sentait bien, qui nous quittait affermie, fortifiée. Elle compte sur nous. Nous nous sentons engagés par cette confiance et cet espoir ».

 

En route pour l'aventure!

En décembre 1944, un premier bulletin d’instructeur⋅rices paraissait et appelait à un grand rassemblement pour le 14 janvier 1945.

Le 7 juin 1945, les CEMEA recevaient l’habilitation des organismes pour la formation des moniteur⋅rices de colonies de vacances avec 5 autres organisations dont « Education et santé » de Maurice Rouchy.

Le 27 juillet 1945, Jean Guehenno, directeur des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, les agréaient comme mouvement de jeunesse.

En janvier 1946, les CEMEA comptaient 17 délégations. Cette année là, Gisèle de failly crée la revue « L’éducation nouvelle » et les Editions du Scarabée.